La distribution équitable des fonds de recherche
Dans son éditorial datant du 1er avril 2021, Marie Lambert-Chan, rédactrice en chef de Québec Science et membre de la Commission de l’éthique en science et en technologie, traite des enjeux liés au financement de la recherche dans un contexte où des sommes importantes sont dirigées depuis un an vers la recherche liée à la pandémie de COVID-19. À l’échelle mondiale, plus de 9 milliards de dollars américains provenant à la fois de fonds publics que privés ont été investis en 2020 pour financer la recherche scientifique en lien avec la COVID-19.
Bien qu’il soit difficile de remettre en question les efforts consacrés pour augmenter la production scientifique en lien avec la pandémie de COVID-19, incluant la recherche liée aux vaccins, il demeure important de souligner les risques éthiques liés à la concentration des investissements publics et privés sur un seul sujet, surtout si cette concentration perdure.
Le risque principal est le suivant : concentrer plus d’efforts que nécessaires à la recherche sur la COVID-19 et négliger d’autres sphères de la recherche scientifique dont les résultats pourraient donner des bénéfices à court, moyen ou long terme. Ce risque peut nommément se décliner de deux manières : focaliser uniquement sur la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale et trop focaliser sur un domaine précis de la recherche au détriment des autres.
D’abord, il existe un risque réel de concentrer une trop grande proportion du financement sur des recherches proposant des résultats concrets à court terme, alors qu’il existe des bénéfices importants liés à la recherche fondamentale. Les vaccins à ARN (acide ribonucléique) contre la COVID-19 montrent d’ailleurs l’importance de la recherche fondamentale : comme le rapporte Marie Lambert-Chan, il s’agit d’une technologie produite dans le cadre de recherche fondamentale menée par la biochimiste Katalin Karikó dans les années 70. Ainsi, bien qu’il soit important de focaliser sur les résultats concrets et à court terme de la recherche scientifique, il ne faut pas perdre de vue les bénéfices liés à la recherche fondamentale, même s’ils demeurent plus difficiles à identifier ou à situer dans le temps.
Ensuite, d’autres sujets de recherche appliquée méritent aussi de recevoir leur part du financement, même s’ils ne sont pas liés à la COVID-19. Pour ne nommer qu’un seul exemple, la recherche appliquée sur les conséquences sociales et environnementales du réchauffement climatique ne devrait pas voir ses possibilités de financement réduites à cause de la pandémie de COVID-19, car les effets négatifs associés au réchauffement climatique pourraient être bien plus importants que ceux associés à la pandémie de COVID-19.
Les effets de la COVID-19 sur les femmes scientifiques
Le 3 mars dernier, dans un éditorial de la revue Nature, il était décrit comment la pandémie de COVID-19 vient amplifier les inégalités existantes entre les chercheurs. D’abord, les plus jeunes chercheurs ou ceux en début de carrière craignent de voir leur financement réduit ou tout simplement coupé : c’est le cas, d’après un sondage justement mené par Nature, de plusieurs chercheurs postdoctoraux. De plus, plusieurs indications montrent que la contribution des femmes scientifiques a été moindre que celle des hommes dans les premiers mois de la pandémie de COVID-19, en mars et avril 2020. C’est ainsi que la proportion d’articles scientifiques signés par des hommes a été plus importante que ceux signés par des femmes en mars et avril 2020 comparativement à la même période en 2019.
Sans justifier une telle situation, elle peut s’expliquer, car ce sont surtout les chercheuses avec des enfants qui ont particulièrement vu leur capacité à publier leurs résultats de recherches se rétrécir. On peut imaginer que le temps disponible à la recherche scientifique diminue pour une chercheuse qui a au moins un enfant, alors que les écoles ou les garderies étaient probablement fermées au printemps 2020 et que dans l’ensemble des cultures les femmes consacrent plus de temps à l’éducation des enfants que les hommes. Néanmoins, il demeure que les femmes scientifiques semblent avoir été plus négativement touchées que leurs comparses masculins, ce qui rejoint le constat établi par la chercheuse Agnès Lys Granier de l’Observatoire québécois des inégalités. Selon ce constat, les femmes sont les grandes perdantes de la pandémie : taux d’emploi plus bas, plus grande inquiétude sur le plan financier et plus grande détresse psychologique.
Que les femmes scientifiques, dont celles avec des enfants, soient plus durement touchées par la pandémie de COVID-19 soulève un enjeu d’équité de traitement, entre autres lorsqu’elles sont en compétition avec leurs collègues masculins pour obtenir un emploi, atteindre la sécurité d’emploi au sein d’institutions académiques ou pour obtenir des subventions de recherches de la part des organismes subventionnaires publics ou privés. Il sera alors de la responsabilité des institutions concernées, dont les universités et les organismes subventionnaires, de poser des actions pour corriger ces situations inéquitables, surtout dans une perspective de solidarité où les effets négatifs liés à la pandémie de COVID-19 ne devraient pas toucher disproportionnellement des sous-groupes de la population.