Commission de l'éthique en science et en technologie

L’inclusion des femmes dans les activités de restauration des forêts

La restauration des forêts fait partie des stratégies utilisées dans une optique de lutte contre les changements climatiques. En cette Journée internationale des droits des femmes, nous mettons ici en lumière certains enjeux éthiques que cette activité soulève en matière de justice, d’autonomie ainsi que d’inclusion et de représentation de groupes particulièrement affectés par les changements d’utilisation des territoires forestiers, comme les femmes autochtones.

8 mars 2023 Environnement, Science ouverte et participative, Place des femmes en science, Sciences et politiques publiques

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Depuis peu au Québec, les projets forestiers qui permettent de retirer du CO2 de l’atmosphère ou d’en réduire la quantité (par exemple en plantant des arbres), même temporairement, peuvent recevoir des crédits compensatoires reconnus dans le cadre du marché du carbone (sous certaines conditions). Ces crédits pourront ensuite être vendus à des émetteurs de gaz à effet de serre (« pollueurs ») afin de couvrir leurs émissions. Ce règlement adopté récemment peut constituer un incitatif au boisement (afforestation) et au reboisement (reforestation), notamment dans une optique de lutte contre les changements climatiques.

L’afforestation et la reforestation constituent en effet des stratégies de géo-ingénierie climatique parmi d’autres, comme l’a déjà expliqué un précédent Éthique-hebdo. Elles soulèvent toutefois des enjeux éthiques en matière de justice, d’autonomie ainsi que d’inclusion et de représentation de groupes particulièrement affectés par les changements d’utilisation des territoires forestiers, comme les femmes autochtones. Nous vous proposons d’explorer ces enjeux en cette Journée internationale des droits des femmes.

Les femmes autochtones, spécifiquement touchées par les coupes forestières

Au Québec, les changements d’utilisation des territoires forestiers, comme les coupes d’arbres, ont un impact spécifique sur les femmes issues de certaines communautés autochtones. Ces coupes constituent « l’un des développements industriels les plus visibles sur le territoire québécois », et l'exploitation forestière est considérée par certains comme une menace culturelle pour des communautés autochtones. Des études qualitatives fondées sur des témoignages de femmes ont documenté les manières dont les coupes forestières dans la forêt boréale du centre du Québec et sur la Côte-Nord ont pu, et peuvent encore, avoir un impact négatif spécifique sur les femmes Atikamekw et Innues, qui sont détentrices de savoirs traditionnels, d’un rapport au territoire et d’un rôle dans la communauté qui diffèrent de ceux des hommes.

Les coupes forestières entraînent des conséquences directes sur plusieurs ressources naturelles utilisées par les femmes de ces communautés dans le cadre d’activités domestiques ou d’artisanat. On pense par exemple à la pollution due aux machines, qui modifie la saveur du gibier et des plantes médicinales et en altère la qualité. Les coupes forestières peuvent également mener à la destruction de fruits, de sources d’eau potable, de plantes médicinales et de l'écorce des arbres[1]. Traditionnellement, les femmes autochtones jouent également un rôle politique et de gouvernance important dans la gestion des territoires, rôle qui contribue à leur autonomisation et qui peut se trouver menacé par les changements d’utilisation des territoires forestiers. Ces changements peuvent aussi être associés à un sentiment d'insécurité, de dépossession et de perte de repères identitaires[2] pour plusieurs femmes qui associent le territoire à un lieu d’origine vecteur de sens, d’identité, de transmissions de pratiques, de savoirs et de valeurs.

Les coupes forestières sont ainsi considérées comme l’un des changements ayant eu le plus d'impacts, souvent négatifs, sur la vie et la santé (mentale, physique et spirituelle) des femmes de certaines communautés autochtones du Québec[3], soulevant un enjeu important d’équité et de justice environnementale. Cette dernière désigne ici l’idée que certaines communautés supportent un fardeau inéquitable et disproportionné de dommages et de risques environnementaux et qu’une répartition équitable des charges et des bénéfices de la lutte contre les changements climatiques est donc souhaitable.

La représentation des femmes dans les sciences mobilisées pour restaurer les forêts  

De manière générale, la science n'est pas à l'abri d'inégalités entre les genres, comme la CEST l’a déjà abordé dans un autre Éthique-hebdo, et les femmes en science souffrent encore d’un manque de représentation. Certaines disciplines scientifiques mobilisées dans le cadre des activités de restauration des forêts demeurent traditionnellement masculines. On pense par exemple à l’ingénierie forestière (seulement 21% d’ingénieures en 2022) ou au génie géologique (17% en 2016), même si certaines initiatives visent à y valoriser la présence de femmes. Au Québec, des expertes avancent plus spécifiquement le manque de représentation, voire l’invisibilisation des femmes autochtones dans les processus d’analyse scientifique et de recherche.

« Rien sur nous, sans nous » 

L’inclusion des populations directement affectées par certains enjeux dans les processus décisionnels et de gouvernance relatifs à ces enjeux est revendiquée au sein de plusieurs mouvements politiques ou sociaux, notamment à travers le slogan « Rien sur nous, sans nous » (issu du latin Nihil de nobis, sine nobis). Ceci est vrai dans le cas de la lutte pour l’action climatique (dont les activités de restauration des forêts peuvent faire partie), au sein de laquelle les femmes réclament un rôle central, étant particulièrement affectées par les changements climatiques. Cette revendication s’exprime entres autres à travers les mouvements écoféministes, qui font le lien entre les théories et les actions féministes et écologistes et qui soutiennent que l’action climatique doit aller de pair avec l’avancement des droits des femmes. 

Au Canada, les femmes autochtones « subissent les effets des changements climatiques » et de l’utilisation des territoires forestiers depuis des générations. Malgré plusieurs initiatives ou lois qui encouragent l’inclusion des communautés autochtones dans la gouvernance, l’aménagement et la gestion des territoires forestiers, la représentation des femmes autochtones demeure insuffisante dans plusieurs instances et des voix autochtones s’élèvent pour réclamer une plus grande place dans le régime forestier québécois (ex. : consultation et prise en compte de leurs préoccupations, savoirs et vision à toutes les étapes du processus décisionnel d’aménagement forestier, accommodements si certaines interventions forestières risquent d’avoir un effet préjudiciable sur leurs droits).

Cette représentation est d’autant plus importante que les femmes autochtones détiennent un savoir et une expérience uniques et qu’elles ont souvent été « écartées du dialogue par les pratiques coloniales » [4], ce que l’on peut qualifier d’injustice épistémique. Ce terme désigne ici une situation où une personne n’est pas adéquatement crue ou comprise parce qu’elle appartient à un groupe social non-dominant (p.ex., femmes, Autochtones), ce qui nuit à sa participation à l’échange et à l’élaboration des connaissances.

En somme, en plus de contribuer au rétablissement d’une forme de justice épistémique, l’inclusion des femmes autochtones et la valorisation de leurs savoirs traditionnels dans le cadre des activités de boisement et de reboisement, y compris à des fins de captation de CO2, peut très certainement participer à une prise de décision plus éclairée et à une restauration plus respectueuse de la biodiversité et des territoires, en guidant par exemple le choix des essences de végétaux à planter. Les femmes autochtones devraient également être considérées et incluses dans la gestion et la répartition de l’accès aux territoires forestiers une fois ceux-ci restaurés, et ce, à des fins de justice (répartition équitable des ressources) et d’autonomisation (par exemple permettre un accès à des revenus tirés de l’artisanat).

 

[1] Basile, Suzy (2017). Le rôle et la place des femmes Atikamekw dans la gouvernance du territoire et des ressources naturelles. (Thèse de doctorat). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Repéré dans Depositum à https://depositum.uqat.ca/id/eprint/703.

[2] Id.

[3] Id.

[4] Basile, S. (2018). Préface. Dans : L’Heureux, C. D. (2018). Les voix politiques des femmes innues face à l’exploitation minière (1st ed.). Presses de l’Université du Québec. https://doi.org/10.2307/j.ctv28687d

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