Commission de l'éthique en science et en technologie

La géo-ingénierie climatique nous sauvera-t-elle?

Les 1-2-3 juin prochain, la Commission de l’éthique en science et en technologie tiendra la CEST-jeunesse, une activité bisannuelle qui offre la chance à une quinzaine d’étudiants du collégial provenant de diverses régions du Québec de participer à une délibération éthique portant sur des enjeux liés à un développement scientifique ou technologique. Dans les années passées, la CEST-Jeunesse s’est penchée sur le plagiat électronique (2005), le neuromarketing et la publicité (2007), la cyberintimidation (2009), l’éthique en sport (2011), les soins de santé personnalisés (2013), l’utilisation des technologies de l'information et des communications en éducation (TICE) (2015), la cybercitoyenneté (2018) et la reconnaissance faciale (2020). Pour sa prochaine édition, la CEST a choisi d’aborder la question de la géo-ingénierie climatique. 

20 mai 2022 Environnement, Crise climatique, CEST-Jeunesse

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La géo-ingénierie fait beaucoup parler depuis quelques années. Ce terme parapluie englobe l’ensemble des techniques qui visent à manipuler le climat terrestre afin de réduire l’impact des gaz à effets de serre sur la température locale ou globale de la planète. Le GIEC classe les techniques de géo-ingénierie en deux catégories principales : la gestion du rayonnement solaire et le retrait du CO2 de l’atmosphère. 

Le dernier rapport du troisième groupe de travail du GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), paru en avril 2022, mentionne qu’il sera nécessaire de procéder à la captation du CO2 via des technologies de géo-ingénierie de captage de CO2 afin de limiter le réchauffement climatique en dessous des 2°C d’ici 2100. Le rapport aborde aussi la possibilité d’un recours à des techniques controversées de gestion du rayonnement solaire pour limiter les effets néfastes du réchauffement climatique. Ces techniques ne font pas l’unanimité en raison du peu de connaissances sur leurs effets secondaires potentiellement désastreux ainsi que des enjeux importants liés à leur gouvernance mondiale. À cet effet, la géo-ingénierie solaire a récemment fait l’objet d’une lettre ouverte appelant à un moratoire sur le déploiement de ces technologies. 

Dans cet Éthique-Hebdo, nous expliquerons les différentes techniques de géo-ingénierie et leurs risques, puis nous nous pencherons sur le principe de précaution ainsi que sur les conséquences négatives du solutionnisme technologique. Nous conserverons les enjeux liés à la justice et la gouvernance pour le second volet de la thématique sur la géo-ingénierie qui paraitra sous forme d’Éthique-Hebdo dans le courant de la semaine prochaine. 

Capter le CO2 

Les gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère par les activités humaines, comme le CO2, sont responsables du réchauffement climatique, car ils retiennent l’énergie du Soleil sur Terre. Afin de lutter contre le réchauffement planétaire, il est possible de capter le CO2 dans la biomasse terrestre, c’est-à-dire la matière issue des êtres vivants. Nous pourrions par exemple planter des arbres et ainsi faire de la reforestation (rétablir une forêt préexistante) et de l’afforestation (créer une nouvelle forêt). Lorsqu’ils poussent, les arbres transforment le CO2 atmosphérique en oxygène et emmagasinent le carbone dans leur tronc, leurs branches, leurs feuilles et leurs racines. Ainsi confiné, le carbone devient inoffensif. Dans le même ordre d’idées, on pourrait aussi faire pousser des plantes sur de grandes surfaces et les transformer en biochar, un charbon artificiel et un engrais. Cela permettrait de conserver le carbone dans le biochar, évitant ainsi de libérer le CO2 que les plantes ont absorbé pendant leur croissance.  

Une autre technique de séquestration de CO2 est de l’enfouir à de grandes profondeurs dans le sol. Pour ce faire, il faut d’abord extraire le CO2 de l’atmosphère, soit en le captant depuis l’air ambiant avec de grandes turbines, soit en le récupérant directement à la sortie des cheminées d’usines, où le CO2 est plus concentré. Puis, on l’enfouit sous le sol de manière sécuritaire et durable. Enfin, deux autres techniques dépendent des océans pour absorber le CO2 atmosphérique. La première consiste à enrichir les océans en fer. Le fer est un nutriment essentiel pour le phytoplancton, une plante marine capable d’absorber le CO2 par photosynthèse. En augmentant la quantité de fer dans les océans, on stimule la croissance du phytoplancton et donc la quantité de CO2 qu’il capture. La deuxième technique consiste à modifier l’acidité des océans. Le CO2 se dilue automatiquement dans l’eau, à condition que l’acidité du réservoir soit suffisamment faible. Afin de stimuler la dilution du CO2 dans les océans, on pourrait en diminuer l’acidité en y dispersant une grande quantité de roches au pH moins acide. Pour l’instant, nous savons que ces deux dernières techniques présentent des risques importants au niveau des écosystèmes marins et leurs effets secondaires sont encore inconnus. 

La géo-ingénierie solaire 

La deuxième grande catégorie de la géo-ingénierie regroupe un ensemble de techniques visant à contrôler le rayonnement solaire. Le principe est simple : réfléchir une quantité importante de rayons du soleil afin de réduire la température terrestre. Pour ce faire, il faut augmenter le pouvoir réfléchissant de différentes surfaces terrestres ou atmosphériques, aussi appelé albédo. La technique la plus connue est l’injection d’aérosols dans la stratosphère. Elle a été initialement inspirée par l’éruption de 1991 du stratovolcan Pinatubo, qui a provoqué un refroidissement mondial de 0,5°C. De cet événement est venue l’idée d’injecter dans la stratosphère des gaz comme le dioxyde de soufre ou le sulfure d’hydrogène qui, en s’oxydant, produisent des particules d’acide sulfurique ayant un grand pouvoir réfléchissant. En créant ces particules, l’injection de ces gaz augmente l’albédo de l’atmosphère et redirige l’énergie du soleil vers l’espace. 

Une deuxième méthode, l’éclaircissement des nuages marins, consiste à augmenter la brillance des nuages au-dessus des océans en pulvérisant des gouttelettes d’eau de mer. Cela augmente la capacité des nuages à réfléchir les rayons du soleil de manière à empêcher que les rayons atteignent les océans, des surfaces à l’albédo très faible. Enfin, une troisième méthode vise à augmenter le plus possible l’albédo des surfaces terrestres et marines. Cela peut se réaliser de plusieurs manières : en utilisant des matériaux réfléchissants dans la construction des milieux urbains, en modifiant chimiquement l’albédo des plantes dans les terres cultivées, ou encore en disposant des microbulles réflectives sur la surface des océans. 

  

Enjeux éthiques 

Principe de précaution 

La géo-ingénierie soulève de nombreux enjeux éthiques. Les systèmes climatiques sont infiniment complexes, de telle sorte qu’intervenir à grande échelle dans les mécanismes climatiques risque de perturber leurs dynamiques fragiles et de provoquer une cascade de conséquences imprévisibles. Le caractère incertain et potentiellement irréversible de certaines interventions appelle à l’application du principe de précaution. Ce principe éthique vise à orienter l’action dans les situations d’incertitude scientifique et technologique, c’est-à-dire dans les situations dans lesquelles les risques ne sont pas entièrement connus. Dans le cadre de la géo-ingénierie, le principe de précaution peut être invoqué à différents niveaux.  

D’une part, il peut pousser à l’action et encourager la réduction des émissions de carbone par des interventions issues de la géo-ingénierie qui sont éprouvées et dont les effets négatifs sont légers ou inexistants. À ce jour, la séquestration géologique du carbone et la plantation d’arbres sont par exemple considérées comme bénéfiques et sans danger pour l’environnement et les humains. Puisqu’il demeure de l’incertitude quant aux effets de la concentration croissante de CO2 dans l’atmosphère, le principe de précaution nous invite à contrôler le plus possible ce phénomène avec des méthodes sécuritaires qui génèrent des bénéfices environnementaux nets. 

D’autre part, le principe de précaution peut justifier d’écarter certaines interventions de la géo-ingénierie dont les conséquences sont potentiellement plus graves que celles des changements climatiques, et inviter à réaliser des études pour mieux comprendre leurs conséquences éventuelles sur la nature, le climat et les sociétés humaines. Plusieurs méthodes issues de la géo-ingénierie comportent des risques substantiels dont l’étendue est inconnue. Par exemple, il est possible que l’éclaircissement des nuages marins contribue à l’augmentation de l’acidification des pluies et modifie la fréquence des précipitations. De surcroît, l’utilisation de cette technique est irréversible, car un arrêt soudain de l’éclaircissement provoquerait une hausse soudaine et rapide de la température moyenne du globe. Cet effet de « verrou » est aussi provoqué par l’injection d’aérosols dans la stratosphère, qui comporte en outre des risques importants de déstabilisation du climat et de fragilisation de la couche d’ozone.  

Le principe de précaution peut aussi justifier l’interdiction actuelle d’utiliser la fertilisation en fer et l’alcalinisation des océans, voire éventuellement de proscrire la recherche scientifique à ce sujet, puisque ces dernières peuvent contribuer respectivement à déstabiliser le pH des océans et à endommager de manière irréversible la biodiversité et les écosystèmes marins. Pour d’autres techniques, comme celles qui visent la modification de l’albédo des terres cultivées, les risques des conséquences négatives sur le climat sont faibles à court terme, mais les effets à long terme sur la biodiversité sont difficiles à évaluer. 

Solutionnisme technologique et démobilisation à l’endroit des changements climatiques 

Il importe d’être vigilant à l’endroit de toute tentative qui envisage la géo-ingénierie sous l’angle du solutionnisme technologique, perspective selon laquelle il existerait une solution technologique à tout problème humain. Dans le cas des changements climatiques, ce ne sont rien de moins que toutes les structures et les habitudes de production et de consommation qui sont à revoir. Aucune technologie connue ne nous permettra de contourner ce problème.  

Le solutionnisme technologique sous-jacent à la géo-ingénierie pose ainsi un risque important de démobilisation quant à la nécessité de s’attaquer aux causes des changements climatiques. En effet, le dernier rapport du GIEC souligne que nos modes de production et de consommation doivent traverser des changements structurels majeurs pour arrêter le réchauffement climatique en cessant l’émission de gaz à effet de serre. La géo-ingénierie a peu ou pas d’effets sur les sources de gaz à effet de serre et vise plutôt à rattraper les émissions déjà émises. C’est un peu comme si, pour éviter qu’une baignoire déborde, on en retirait de l’eau avec un seau alors que le robinet coule toujours. Certes, cela aide à court terme, mais il est évident que ce n’est qu’une solution temporaire et qu’il faudra éventuellement couper l’entrée d’eau! Dans le cadre des changements climatiques, fermer le robinet revient à réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. 

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