Le début de semaine chaud et ensoleillé s’est rapidement assombri pour tous ceux qui ont pris connaissance de la publication de la troisième et dernière partie du sixième rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les 278 scientifiques auteurs du rapport, qui ont regroupé plus de 18 000 études scientifiques, sonnent une fois de plus la sonnette d’alarme : les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont en croissance constante. Des efforts notables devront être déployés afin d'inverser cette lourde tendance, sans quoi la température mondiale moyenne pourrait s’élever jusqu’à 2,7 °C d’ici la fin du siècle. Il est plus urgent que jamais que les États et les citoyens du monde entreprennent un virage majeur afin d’éviter le scénario d’un dérèglement climatique dont les conditions deviendraient incontrôlables.
Pour faire face à cette urgence, l’organisme intergouvernemental des Nations-Unies propose une démarche globale visant la coopération de l’ensemble des citoyens et des États du monde. Il propose à cet effet un changement en profondeur des modes de vie des citoyens des pays développés, lequel passe par l’aménagement durable des villes, une meilleure gestion des déchets, des choix de transports moins carbonés ainsi qu’une alimentation saine et durable. Dans son dernier rapport, le groupe d’experts s’appuie sur les recommandations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA) qui préconise un virage vers une alimentation saine et durable. Cette dernière priorise majoritairement les aliments d’origines végétales, tout en n’excluant pas les « aliments d’origine animale produits dans des systèmes résilients, durables et à faibles émissions de GES ».
Nous avons abordé l’automne passé les enjeux éthiques liés au bien-être des animaux, notamment en ce qui concerne leur capacité à ressentir la souffrance et à faire preuve de conscience limitée ou complexe. Ce présent Éthique hebdo vise pour sa part à enrichir la réflexion éthique sur l'élevage en mettant en exergue ses conséquences négatives sur le climat, l'environnement et la santé humaine.
L’élevage nuit considérablement aux efforts consentis afin de protéger le climat. Il serait la source de près de la moitié des émissions de GES du secteur de l’agriculture (secteur qui représente environ le quart des émissions mondiales de GES). L’une des causes de ces émissions provient de la déforestation. À l’heure actuelle, les trois quarts des terres agricoles seraient dédiées à l’élevage (cela inclut les pâturages et les terres cultivées pour l’alimentation animale). L’expansion des terres agricoles se fait principalement aux dépens de la couverture des forêts du globe, ce qui implique qu’une hausse de l’offre en produits d’élevage aggravera le problème de la déforestation. La déforestation provoque l’émission de gaz à effet de serre de deux façons : la première est la libération du carbone fixé sous les racines de la couverture végétale, et la deuxième est l’arrêt de la photosynthèse, entraînant la diminution de la séquestration de carbone réalisé par les végétaux ainsi coupés. La déforestation implique de surcroit de lourdes pertes pour la protection de la biodiversité et des écosystèmes. La destruction et la fragmentation des habitats naturels forestiers conduisent en effet à la disparition des écosystèmes qu’ils abritent.
La séquestration du carbone est un précieux service écologique que nous rendent les végétaux des forêts. La forêt amazonienne, qui a été longtemps été qualifiée de « poumons de la planète », émettrait désormais plus de carbone qu’elle en absorberait. Élu en 2019 avec la promesse électorale d’augmenter les bénéfices économiques de la forêt amazonienne, le Président du Brésil, Jair Bolsonaro, a procédé à un démantèlement des institutions veillant à la protection de l'environnement afin d’accentuer l’exploitation du bois d’œuvre, de l’élevage de bœuf et de la production de soya. Chaque année, une surface terrestre équivalente à la superficie du Liban se retrouve déforestée. Cela est sans mentionner le recours aux brulis ( défrichement par le feu) après la coupe des arbres, lesquels contribuent à une augmentation considérable des émissions de CO2. La réduction des arbres contribue à la diminution des précipitations et à l’augmentation des sécheresses, et nuit par conséquent et de manière paradoxale au rendement agricole, qui sert pourtant de justification à la déforestation.
L’élevage des animaux est responsable d’autres sources d’émissions de GES. En effet, la machinerie employée pour la production animale produit directement du CO2 par la consommation de carburant, ou indirectement par sa consommation électrique. Ces émissions sont généralement considérées comme négligeables (moins de 5% des émissions totales de l’élevage). Sur les fermes d’élevage, la principale source de GES est la fermentation entérique, processus par lequel les ruminants digèrent leur nourriture en émettant du méthane, un gaz contribuant fortement au réchauffement climatique. Les excréments des vaches sont également des sources d’oxyde nitreux, un autre gaz à effet de serre également émanant également de l’utilisation d’engrais dans les cultures agricoles destinées à l’alimentation des animaux.
De plus, la pratique de l’élevage porte de sérieuses atteintes à la biodiversité. Il suffit de penser à la pollution des cours d’eau provoquée par le fumier des fermes d’élevage, par les pesticides et par les engrais utilisés pour faire pousser l’alimentation animale, qui finissent par ruisseler dans les plans d’eau. Comme ces intrants sont particulièrement riches en nutriments (en azote et en phosphore, notamment), ils favorisent la prolifération de cyanobactéries (ou algues bleues). Celles-ci retirent alors l’oxygène de l’eau et la rendent opaque à la lumière, nuisant à la biodiversité des cours d’eau en tuant notamment les animaux marins. La pollution des plans d’eau est également fortement nocive pour la santé humaine, et plus particulièrement pour la santé des enfants. Les communautés n’ayant pas accès à un système de filtration d’eau potable sont donc vulnérables à la pollution et à la destruction des plans d’eau à proximité.
Enfin, plusieurs antibiotiques sont utilisés dans les fermes d’élevage. Ces dernières finissent également par se retrouver dans les cours d’eau et dans le sol, ce qui favorise par conséquent l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques. En 2014, on estime qu’au moins 700 000 personnes sont décédées dans le monde en raison de la résistance bactérienne aux antibiotiques. En 2050, ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 10 millions si le phénomène n’est pas maîtrisé. À titre de comparaison, en 2014, environ 8,2 millions de personnes sont décédées du cancer.
Bien que de nombreux écrits proposent des façons d’augmenter l’efficacité des méthodes d’élevage afin de réduire son impact environnemental, on ignore à quel point ces approches seront efficaces. Les gains en efficacité seront sans doute mineurs comparativement à l’effort massif de réduction des émissions de GES auquel doivent consentir les sociétés humaines.
Le dernier rapport du GIEC a certes raison de souligner que les individus peuvent exercer une pression sur la demande d’aliments sains à base végétale à faibles émissions de carbones. Les experts n’estiment pas qu’il soit nécessaire de procéder à des changements radicaux tels que l’adoption du véganisme (même si un mode d’alimentation sans produits d’origine animale permet de réduire le plus l’empreinte environnementale et climatique de l’humain pour se nourrir ). Il conviendrait toutefois d’entamer une démarche de petits pas misant avant tout sur une réduction graduelle de la consommation de viande et sur une augmentation de la pression sur le marché alimentaire pour des alternatives soutenables et bénéfiques pour la santé humaine. Pour être effectives, ces initiatives devront être appuyées par des politiques publiques facilitant l’accès à ces aliments, et ce, pour toutes les strates de la population, y compris les classes les plus défavorisées. Il en va d’une question de justice alimentaire. Il s’avère aussi indispensable que les décideurs publics réduisent les subventions à l’industrie de la viande tout en offrant la possibilité aux éleveurs de reconvertir leurs productions.
Enfin, il demeure que l’action collective est de mise pour lutter contre le réchauffement de la planète et que les actions individuelles sur le plan de l’alimentation auront bien peu d’effets si les sociétés humaines ne réduisent pas leurs dépendances aux hydrocarbures. Afin de faire des sacrifices, les citoyens devront avoir confiance dans la cohérence et l’efficacité des politiques publiques en matière d’environnement. Cette confiance pourra être fortement compromise dans le contexte actuel où les États continuent de subventionner ou d’autoriser la mise en place de nouveaux projets pétroliers ou gaziers. Le Rapport du GIEC rappelle que les subventions gouvernementales aux pétrolières demeurent largement supérieures aux sommes allouées à l’adaptation et à l’atténuation aux changements climatiques. Dans un rapport publié en 2021, l’Agence internationale de l’énergie a affirmé qu’il était crucial de ne plus mettre en branle de nouveaux projets pétroliers ou gaziers. Pourtant, dans les deux jours suivants la parution de la dernière partie du dernier rapport du GIEC, le ministère de l’Environnement et des changements climatiques du Canada a préféré faire la sourde oreille à cette recommandation lorsqu'il a donné son approbation officielle au projet pétrolier Bay du Nord à Terre-Neuve.
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