Commission de l'éthique en science et en technologie

Bénéfices et risques éthiques du partage des données scientifiques

Le mouvement science ouverte a notamment pour objectif de rendre accessibles les informations scientifiques, en assurant par exemple le libre accès aux publications des chercheurs. Or, cette ouverture ne se limite pas aux résultats ou aux publications scientifiques, mais concerne aussi les données utilisées par les chercheurs dans le cadre de leurs études.

3 mars 2022 Science ouverte et participative, Données numériques et massives

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Le mouvement science ouverte, officiellement soutenu par les Fonds de recherche du Québec, par l’UNESCO et par de nombreuses organisations scientifiques à travers le monde, a notamment pour objectif de rendre accessibles les informations scientifiques, en assurant par exemple le libre accès aux publications des chercheurs. Or, cette ouverture ne se limite pas aux résultats ou aux publications scientifiques, mais concerne aussi les données utilisées par les chercheurs dans le cadre de leurs études.

Plusieurs personnes sont ainsi en faveur de rendre publiques les données utilisées dans le cadre de recherches scientifiques afin de permettre leur réutilisation par d’autres chercheurs et de favoriser la révision des études. C’est dans cet esprit que les National Institutes of Health, qui gèrent la recherche médicale et biomédicale publique aux États-Unis, exigeront à partir de 2023 que les chercheurs subventionnés rendent l’ensemble des données utilisées pour leurs recherches disponibles au public. Bien que de telles mesures comportent de nombreux bienfaits pour la science, elles soulèvent cependant plusieurs risques. Passons en rafale les bénéfices et les risques du partage des données de recherches scientifiques.

 

Avantage de l’ouverture des données de recherche: qualité des informations scientifiques, rigueur scientifique et collaboration scientifique

 

Le partage des données scientifiques a d’abord pour objectif de renforcer la qualité et la crédibilité des informations scientifiques. En partageant leurs données, les chercheurs s’exposent en effet à la possibilité que leurs interprétations ou leurs méthodes d’analyse des données soient révisées ou critiquées. Ils facilitent aussi la reproductibilité des études, c’est-à-dire la capacité de reproduire les résultats obtenus au cours d’études subséquentes. Certes, les études scientifiques doivent déjà être soumises à un processus de révision par les pairs avant d’être publiés par des journaux scientifiques sérieux. En revanche, cette révision ne prévoit pas toujours un examen rigoureux des données à la source des tableaux ou des statistiques présentés dans l’étude, parce que le traitement des données utilisées n’est pas toujours connu. De plus, plusieurs tentatives de réplications d’études scientifiques au cours des dernières années se sont soldées par des échecs, parfois en raison de méthodes ou de traitement des données questionnables. Cette situation, parfois qualifiée de « crise de la reproductibilité », est non seulement problématique du point de vue de la qualité des résultats de recherche, mais aussi du point de vue de la confiance qu’accorde le public à la recherche scientifique. Il est donc d’autant plus nécessaire de renforcer les processus de révision qui sont garants de l’objectivité et de la rigueur scientifique.

Le partage des données scientifiques comporte également d’autres avantages : il ouvre par exemple la porte à ce que d’autres chercheurs tirent parti des mêmes données. L’expérience de la pandémie a d’ailleurs montré comment le partage des données et des méthodes scientifiques pouvait accélérer la recherche et contribuer à la collaboration scientifique (Voir Éthique hebdo du 4 mai 2020). Enfin, la publication des données de recherche favorise l’inclusion et à la participation du public dans l’ensemble des processus scientifiques, qui constitue l’un des principaux objectifs du mouvement science ouverte.

Les risques associés au partage des données de recherche

 

Le partage des données utilisées par des chercheurs soulève des risques importants en matière de respect de la vie privée. Il existe en effet de multiples façon de réidentifier les personnes à partir de données de recherche, même lorsque ces données ont été anonymisées ou qu’elles ne sont pas a priori identificatoires. Par exemple, des données concernant la prévalence d’une maladie dans la population pourraient être dénuées d’informations personnelles, mais tout de même permettre de réidentifier les personnes concernées (nom, code postal, etc.) lorsque mises en relation avec d’autres données. À cela s’ajoute le risque que les informations ainsi obtenues comportent des indications jugées sensibles (orientation sexuelle, opinion politique, etc.), pouvant conduire à des formes de stigmatisation et donner lieu à un traitement inéquitable.

Le partage de données de recherche pose aussi un risque pour l’autonomie et le consentement des personnes concernées par ces données. Dans les cas où les données utilisées dans le cadre d’une recherche ont été spécifiquement collectées pour cette recherche, les participants concernés pourraient ne pas avoir consentis à ce que leurs données soient partagées plus largement ou qu’elles soient reprises pour des études différentes, dont des études visant à reproduire les résultats. Dans les cas où les chercheurs font plutôt une utilisation secondaire des données – c’est-à-dire en utilisant des données collectées dans d’autres contextes et pour d’autres finalités que l’étude concernée – les données pourraient être utilisées pour des finalités qui n’avaient pas été prévues lors de l’autorisation d’accès à ces données. Ainsi, les politiques de partage données devraient avoir pour condition, en amont de la recherche, un accès bien encadré aux données telles que les enquêtes statistiques ou les données publiques de santé. Le Projet de Loi 19, déposé à l’Assemblée nationale le 3 décembre dernier, prévoit à ce titre une révision des modalités d’accès aux données publiques de santé par des chercheurs. La Commission se penche actuellement sur ces modalités d’accès dans le cadre de son chantier en cours sur ce sujet.

Il importe également que les politiques de partage des données telles que celles proposées par les NIH aux États-Unis prévoient des mécanismes rigoureux permettant d’assurer la protection de la vie privée. Par exemple, les données devraient être déposées sur des plateformes sécuritaires et leur accessibilité devrait faire l’objet de demandes individuelles, en plus d’être conditionnelle à un examen rigoureux des risques associés à un tel partage.

Enfin, mentionnons que l’obligation de partager les données de recherche soulève des enjeux d’équité au sein même de la communauté scientifique. La préparation, l’organisation et la curation des données peut exiger un travail ainsi que des ressources importantes. Une obligation de dépôt des données pourrait donc constituer un fardeau pour les laboratoires ayant des moyens plus modestes, ou encore pour les chercheurs en début de carrière qui se voient souvent octroyés ce genre de tâches au détriment de la réalisation d'articles scientifiques leurs permettant de bonifier leurs dossiers de recherche.

En somme, le partage des données de recherche dans un contexte de science ouverte constitue un moyen efficace de favoriser la transparence et la rigueur des études scientifiques ainsi que de favoriser la confiance de la population envers la science. Il importe cependant que les politiques et dispositions adoptées à cet effet, telles que celles proposées par les NIH, soient balisée par des mesures rigoureuses permettant de respecter l’autonomie et la vie privée des personnes et ne causent pas d’iniquités au sein des communautés scientifiques.

 

 

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