Commission de l'éthique en science et en technologie

Production agricole intensive : enjeux éthiques et environnementaux

26 novembre 2021 Agriculture et alimentation, Environnement, Santé, Crise climatique

Partager cette page

Depuis les années 60, l’agriculture s’est progressivement transformée pour s’éloigner du modèle traditionnel dans lequel la production est caractérisée par des moyens matériels limités et un grand besoin de main-d’œuvre humaine et animale. Le développement de machines agricoles et la demande de plus en plus forte en nourriture, causée en partie par une forte croissance démographique mondiale, une croissance des villes et l’adoption d’un mode de vie plus urbain et plus axé sur la consommation et la maximisation de la profitabilité ont contribué à la naissance de la production agricole intensive. La solution est venue d’une vision productiviste de l’agriculture, pour laquelle il a fallu trouver des manières de produire le plus grand volume d’aliments dans le plus court laps de temps possible et pour un coût moindre. La force animale a été remplacée par la machinerie, de grandes surfaces ont été exploitées par seulement quelques cultures et l’utilisation d’intrants tels que les pesticides ou les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont été privilégiés dans le but d’assurer des récoltes résistantes aux intempéries et aux organismes nuisibles. Bien que ce modèle agricole visant à augmenter le rendement par agriculteur ainsi que par hectare de terre cultivée soit devenu la norme de production, ce dernier soulève plusieurs enjeux éthiques, notamment en ce qui a trait à son impact social et environnemental.

Surexploitation des terres agricoles

L’agriculture intensive s’est construite principalement autour des monocultures, à savoir l’exploitation d’une culture unique sur de grandes surfaces et sur une longue durée. On se sert des monocultures pour plusieurs raisons, notamment la facilité d’une culture à pousser dans un sol donné, le coût moindre pour l’achat d’un grand nombre de graines et d’intrants nécessaires à leur croissance, la spécialisation d’une ferme, le grand volume de production permettant de nourrir le bétail et le rendement économique de l’exportation du surplus agricole.

D’un autre côté, la cultivation d’une seule récolte sur l’entièreté d’une surface agricole peut avoir des conséquences environnementales indésirables, qui sont de plus en plus étudiées et décriées. En effet, les monocultures réduisent la biodiversité des milieux et appauvrissent les sols agricoles. Compte tenu du fait que seulement 2% de la superficie du territoire québécois est alloué à l’agriculture et que les terres agricoles sont des ressources non renouvelables, la préservation de ces terres est importante non seulement d’un point de vue environnemental, mais également pour l’alimentation des Québécois. Or, les monocultures demandent continuellement les mêmes nutriments à une même parcelle de terre, ce qui déséquilibre la composition naturelle des sols. De cette façon, par exemple, la monoculture de maïs accroît les risques d’augmentation de toxines et diminue l’azote des sols. Le maïs et le soya sont d’ailleurs deux des monocultures les plus exploitées au Québec : leur coût est assez bas, leur croissance résiste généralement bien aux intempéries et leur production est utile dans l’alimentation du bétail ainsi que dans plusieurs aliments transformés. La production excessive d’une même culture rend les sols plus sujets à l’apparition d’ennemis de cette culture, qu’ils soient des insectes ou d’autres organismes envahissants.

Les monocultures sont également néfastes pour la biodiversité. L’absence d’une diversité de plantes et d’organismes débalance l’équilibre naturel des milieux agricoles. Sans leur biodiversité naturelle, les terres s’appauvrissent plus rapidement, car elles ne possèdent plus un tissu biologique complexe. De plus, le manque de végétation diversifiée des monocultures éloigne les animaux et les insectes. La survie des pollinisateurs, par exemple, est menacée par l’absence de fleurs dans les grandes surfaces de monocultures. L’agriculture intensive est de ce fait l’une des causes de la disparition des abeilles, qui sont les insectes les plus pollinisateurs.

Pesticides et OGM

Les pesticides et les OGM sont les principaux intrants utilisés dans l’agriculture intensive. Les pesticides sont des substances synthétiques ou naturelles utilisées dans le but de tuer ou de prévenir l’apparition d’un organisme indésirable. Par ailleurs, les pesticides peuvent également être dommageables pour d’autres espèces que celles qui sont ciblées. En plus de soulever plusieurs questions éthiques sur le contrôle anthropique des espèces, l’épandage de pesticides peut nuire à des organismes pourtant nécessaires à la production agricole. De ce fait, il a été prouvé que les néonicotinoïdes, qui sont largement utilisés au Québec pour contrôler les parasites dans les récoltes, ont des effets dévastateurs sur les populations d’abeilles. Ces pesticides peuvent également se retrouver dans les cours d’eau et contaminer les invertébrés qui y vivent, ce qui affecte l’ensemble de la chaine alimentaire. Il est à noter qu’en dépit de récentes dérogations pour la culture de la betterave, la Commission européenne a interdit depuis 2018 l’utilisation des néonicotinoïdes sur son territoire.

De plus, l’utilisation répétée de pesticides, possible entre autres grâce aux cultures génétiquement modifiées, contribue à faire naître une résistance chez certaines plantes, ce qui demande par conséquent d’augmenter le niveau de pesticides employé par les agriculteurs ainsi que les coûts de production. Cette dynamique génère une dépendance croissante aux pesticides, laquelle soulève des enjeux économiques pour les agriculteurs ainsi que des enjeux de santé et d’environnement chez l’ensemble de la population. L’exposition répétée aux pesticides soulève également des enjeux quant à la santé à long terme des agriculteurs.

Les OGM sont généralement utilisés dans le but d’assurer un rendement toujours égal malgré les aléas du climat et de résister plus amplement aux pesticides. Cette pratique soulève non seulement des enjeux quant aux risques sur la santé ou sur l’environnement que pourraient introduire des organismes qui ont été modifiés par les êtres humains, mais également des enjeux sur l’interposition entre les OGM et les pesticides. La consultation publique sur l’augmentation du taux maximal de glyphosate présent sur certains aliments lancée en juillet dernier à la demande de Bayer, propriétaire de Monsanto, a fait l’objet de plusieurs critiques, scientifiques comme citoyennes. Cette entreprise multinationale spécialisée en biotechnologie agricole est l’une des plus grandes entreprises de développement d’organismes génétiquement modifiés. Cela soulève des enjeux quant à l’influence que peuvent avoir les multinationales sur le monde de l’agriculture et sur les recherches liées à la production agricole et aux intrants qui sont utilisés à son effet. Louis Robert avait d’ailleurs dénoncé en 2019 l’ingérence des compagnies de pesticides et d’engrais chimiques dans la recherche publique.

Va-et-vient mondial et autonomie alimentaire

Au début de l’année 2020, l’Organisation des Nations unies a déclaré qu’une pénurie alimentaire mondiale était à prévoir et, depuis, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) rappelle constamment la présence d’une crise alimentaire mondiale de plus en plus accrue. Cette déclaration initiale avait fait l’objet de vives réactions de la part de nombreux acteurs économiques et politiques. Le premier ministre François Legault avait d’ailleurs déclaré vouloir prendre plusieurs initiatives pour atteindre une plus grande autonomie alimentaire. La dépendance alimentaire touche de nombreux enjeux, dont l’autonomie d’un État, la santé alimentaire de ses citoyens ainsi que l’impact environnemental des importations et des exportations des aliments.

L’agriculture intensive et la mondialisation ont à la fois entraîné une spécialisation des fermes et des cultures et une dépendance à l’agriculture mondialisée. La mondialisation a effectivement favorisé les exportations entre des pays qui avaient accès à des cultures différentes, ce qui à son tour a favorisé l’intensification de cultures particulières ainsi que la dépendance des consommateurs à des produits qui ne se trouvaient auparavant pas ou rarement dans leur alimentation. Or, ce système mondial orienté principalement vers l’exportation de produits nécessite du transport, ce qui génère des émissions de gaz à effet de serre. Il serait donc plus écologique de se nourrir localement. Cependant, l’autonomie alimentaire est-elle possible au Québec? Pour plusieurs chercheurs et agronomes, s’approcher de la capacité à nourrir la nation adéquatement de façon locale demande de revoir l’ensemble de la chaine agroalimentaire de la production à la distribution. Une agriculture qui permet la souveraineté alimentaire est en effet une agriculture qui est diversifiée, adaptée aux écosystèmes naturels ,  et  axée sur la durabilité des terres qu’elle utilise et non uniquement sur le rendement et le surplus à exporter.

À cet effet, l’une des façons de minimiser l’impact des cultures sur les sols est de pratiquer une rotation des cultures adéquates. Selon l’agronome Louis Robert, une rotation des cultures de maïs, de soya et de blé d’automne, étalée sur 3 ans, permettrait « d'augmenter et de stabiliser les rendements, de réduire les coûts de fertilisation et d'améliorer la santé du sol à long terme, surtout si la culture est réalisée en semis direct. » L’agriculture durable se base notamment sur des techniques agricoles telle la rotation des cultures dans le but de transmettre aux générations futures des terres arables en santé.

Plusieurs données sont toutefois encourageantes. Par exemple, en comparaison à d’autres pays producteurs, comme les États-Unis, le Québec a plus de territoire agricole par habitant. La province exporte également plus qu’elle n’importe, en termes économiques et caloriques. De plus, plusieurs avenues sont présentement en exploration dans le but d’augmenter l’approvisionnement local au Québec malgré le climat froid, notamment des serres alimentées par le surplus d’électricité généré par Hydro-Québec.

Si l’enregistrement des fichiers de témoins est activé sur votre navigateur, la visite de ce site placera un fichier de témoins sur votre ordinateur, ou un fichier de témoins sera lu si vous avez déjà visité ce site auparavant. Notre utilisation des fichiers de témoins vise uniquement à améliorer votre expérience comme utilisatrice ou utilisateur sur le site Web de la Commission.