Commission de l'éthique en science et en technologie

Les avantages de la participation citoyenne dans les controverses politiques et scientifiques

La CEST travaille actuellement sur un document de réflexion portant sur le recours aux sciences et à l’expertise scientifique dans l’élaboration de politiques publiques. Nous présenterons dans cette série bimensuelle d’éthique hebdos un bref aperçu de ces réflexions, en ce qui concerne plus particulièrement les relations entre décideurs publics, experts et société civile. Ces travaux seront notamment présentés lors de la journée mondiale de la philosophie organisée par l’UNESCO le 18 novembre prochain.

12 novembre 2021 Science ouverte et participative, Sciences et politiques publiques

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Les institutions démocratiques ont un important devoir de favoriser la participation démocratique et scientifique de la société civile. En effet, les citoyennes et les citoyens sont en droit de se prononcer sur leurs conditions sociales d’existence et sur les trajectoires futures de celles-ci. Cela étant dit, dans quelle mesure la société civile devrait-elle prendre part aux décisions politiques qui concernent des enjeux ou des controverses scientifiques d’une grande complexité? Que faire lorsque le point de vue des citoyens diffère de celui des experts? Au-delà de la légitimité des citoyennes et citoyens à se prononcer sur les enjeux qui les concerne, il est important de reconnaître que ceux-ci peuvent également contribuer de manière substantielle à la prise de décision. Nous présenterons dans cet éthique-hebdo un tour d’horizon des raisons qui rendent pertinente l’inclusion de la société civile dans de tels contextes.

Le public et les experts: pourquoi favoriser un dialogue?

Traditionnellement, la société civile a souvent été dépeinte par les organisations scientifiques comme un public qu’il s’agit d’éduquer, et non comme un acteur pouvant prendre part aux délibérations des experts. Comme le montre par exemple Alan Irwin (1995), les organisations scientifiques qui se prononcent sur ces enjeux ont tendance à associer étroitement la science au progrès, et à considérer que les oppositions à la science se résorberaient d’elles-mêmes si les opposants en question étaient davantage éduqués à la culture scientifique. En somme, le public est souvent perçu comme étant essentiellement passif et réactif face à une science qui devrait quant à elle se déployer de façon indépendante par des experts scientifiques qui détiendraient en quelque sorte le monopole du savoir.

Or, il est exagéré de poser une distinction aussi tranchée entre ceux qui savent (les scientifiques) et ceux qui ignorent (le public). Bien qu’il soit souhaitable d’encourager et de favoriser la littératie scientifique des citoyens,  le public n’est ni une entité homogène, ni un auditoire passif et ignorant. Non seulement les citoyens peuvent-ils participer activement aux recherches scientifiques (voir à ce sujet notre éthique hebdo sur les sciences participatives), mais le public peut aussi être porteur de certains savoirs contextuels qui échappent parfois aux scientifiques ou aux décideurs publics, tels que des connaissances traditionnelles ou professionnelles, des savoir-faire ou des connaissances liées à certaines réalités locales.

La pertinence des savoirs portés par la société civile dépendra des situations. Ces savoirs peuvent occuper une place prépondérante dans certains métiers ou professions, comme l’éducation ou le travail social. Selon les cas, ces savoirs pourront aussi être complémentaires à une démarche scientifique. Par exemple, les avis de pêcheurs ou d’agriculteurs peuvent aiguiller les scientifiques sur certains enjeux ou encore contribuer à l’efficacité d’un échantillonnage. Enfin, notons qu’il peut arriver que des connaissances scientifiques entrent en contradiction avec les jugements de professionnels ou de communautés locales (par exemple en ce qui concerne la pratique à prioriser dans un cadre médical; ou encore l'innocuité de certains pesticides). Dans de telles situations, ces jugements ne devraient pas être dévalorisés d’emblée au nom de la supériorité épistémique de la science. En effet, de telles situations n’impliquent pas de choisir entre connaissance scientifique et savoirs expérientiels, mais peuvent être interprétées comme une invitation à investiguer les sources de désaccord et à effectuer davantage de recherche, voire à envisager des formes de partenariats entre la recherche scientifique et les détenteurs de connaissances ou de savoir-faire professionnels. Enfin, une plus grande participation citoyenne en général peut permettre de mieux mobiliser les savoirs portés par la société civile, voire de mieux les documenter.

Les bienfaits des controverses et des débats publics: l’exemple des poussières rouges dans le quartier Limoilou

En plus de mettre en valeur les savoirs portés par la société civile, la participation citoyenne peut éclairer certaines problématiques dans les contextes de controverse ou d’incertitude scientifique. Un exemple québécois permet d’illustrer les nombreux avantages, dans de tels contextes, à soumettre des enjeux sociaux et environnementaux aux débats publics. En octobre 2012, à la suite d’observations répétées de dépôts de poussière rouge dans leur quartier, des citoyens de Limoilou concernés par la qualité de leur environnement et de leur santé se sont mobilisés et ont enquêtés eux-mêmes sur ces épisodes. L’analyse d’échantillons de poussière récupérés par des citoyens révéla que des métaux (cuivre zinc, nickel, fer) étaient présents en concentration élevée dans ces dépôts de poussière. La compagnie Arrimage du Saint-Laurent confirma, quelques jours suivants l’intervention du ministère de l’Environnement, que l’épisode observé en octobre avait été causé par des transbordements de minerais effectués au Port de Québec. Ces révélations donnèrent lieu à divers débats politiques et médiatiques concernant l’ampleur de ces dépôts de poussière ainsi que leur niveau de risque sanitaire et environnemental. La controverse impliqua notamment des associations de citoyens nouvellement formées, des politiciens, ainsi que des représentants du Port de Québec et de la compagnie Arrimage du Saint-Laurent.

Cet exemple montre bien ce que la participation du public peut apporter en termes de bien commun et en termes de compréhension d’enjeux sanitaires ou environnementaux. L’enquête citoyenne a en effet donné lieu à diverses associations (notamment, l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec), faisant entendre les voix des citoyens les plus concernés par ces problèmes et favorisant la cohésion sociale des habitants du quartier. Ces événements ont également remis à l’avant-plan les enjeux de justice et d’équité liés aux inégalités et au cumul de risques pour la santé des gens habitant en Basse-ville. Enfin, la controverse a permis de mettre sur pied de réels espaces de dialogue social et de coopération, notamment le Comité de vigilance des activités portuaires (CVAP). Ce comité, composé à la fois de représentants de conseils de quartier, de la ville de Québec et de la Direction de la Santé publique, propose des recommandations concrètes concernant la gestion des activités portuaires

Il est donc non seulement légitime, mais également utile et pertinent d’inclure la société civile dans les controverses et les débats publics qui concernent des enjeux scientifiques. En omettant cette étape importante de la délibération, on s’expose au risque que certains citoyens soient laissés pour compte, et on risque également de passer à côté de possibilités ou de solutions que les décideurs et les experts n’auraient pas envisagées. Cette prise en compte de point de vue des citoyens s’avère particulièrement importante en situation d’urgence, de controverse ou d’incertitude scientifique: c’est en effet dans de telles situations qu’il est crucial d’élargir notre compréhension des problèmes et des solutions envisageables afin de prendre des décisions favorisant le bien commun. Cette valorisation de la participation citoyenne devrait aussi être accompagnée de moyens pour encourager la littératie scientifique et numérique de la société civile. À ce titre, les situations problématiques auxquels sont confrontées les communautés peuvent constituer des occasions de favoriser des formes de participations permettant aux citoyens de se familiariser avec des concepts ou des enjeux scientifiques particuliers.

Références

Irwin, A. (1995). Citizen science: A study of people, expertise and sustainable development, London: Routledge.  

Gagnon, M.  (2015). « Pour ne pas mordre la poussière : savoir protéger son milieu de vie », Revue Mileu(x), 2, 15-22. 

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