Ce lundi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a réitéré ses préoccupations concernant l’inégalité d’accès aux vaccins contre la COVID-19 entre les pays riches et les pays moins nantis. En janvier, l’Organisation avait déjà lancé une alerte à cet effet. Or, depuis janvier, l’écart se serait creusé davantage. En février, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution « exigeant l’équité » dans l’accès mondial aux vaccins.
En avril 2020, l’OMS a mis sur pied COVAX, un système international visant à fournir les doses nécessaires à la vaccination de 20% de la population de près de 200 pays. La structure différenciée du financement de COVAX devait permettre d’aider 92 pays plus défavorisés à avoir accès aux doses de vaccin.
Cependant, sur les 455 millions de doses administrées dans le monde jusqu’à présent, 56% l’ont été dans les pays nantis alors que 0,1% l’ont été dans les pays à faibles revenus.
La Chine, la Russie et l’Inde partagent déjà des doses alors que d’autres pays comme le Canada et le Royaume-Unis se sont plutôt engagés à donner leurs surplus une fois leur population entièrement vaccinée (incluant les sous-populations peu à risque).
Du côté des fabricants américains, britanniques et européens (dont les recherches ont été fortement financées par des fonds publics), aucun ne veut renoncer à leurs brevets en échange de compensations (redevances) comme le demandent le secrétaire général de l’OMS et une centaine de pays. Seul AstraZeneca, quoique détenteur d’un brevet, a accordé des licences (autorisations spéciales) à certains laboratoires, ce qui permet d’augmenter la production.
Les pays riches se sont engagés dans une course à l’acquisition en faisant des achats anticipés de quantités de doses excédant largement ce qui est nécessaire pour vacciner leur population entière. Par exemple, le Canada a sécurisé des stocks équivalents à 9,6 doses par citoyen. Ces accords commerciaux bilatéraux hors COVAX entre les fabricants et certains pays réduisent significativement le nombre de doses auxquelles les autres pays auront accès et exercent une pression à la hausse sur les prix. De plus, le Canada est le seul pays du G7 à piger dans les stocks de COVAX (1,9 million de doses) pour sa propre population.
Pour un pays, la vaccination des populations devrait avoir pour principal objectif de protéger la santé des personnes, mais aussi de protéger leurs droits et libertés (ex. libre circulation), de préserver les systèmes de santé et les services sociaux ainsi que de favoriser la reprise économique. Au niveau mondial, les pays mieux nantis ont aussi des responsabilités envers les autres citoyens du monde.
De manière générale, il est admis que les pays ont une responsabilité morale prioritaire envers leurs propres populations. Ainsi, il peut être légitime de se focaliser, dans un premier temps, sur la vaccination de ses citoyens. Cependant, ceci ne les exempte pas des responsabilités qu’ils ont envers les citoyens des autres pays, spécialement envers ceux des pays moins favorisés.
Les positions éthiques sur la portée de cette responsabilité mondiale varient. Elles incluent des devoirs d’assistance plus ou moins forts. Investir dans COVAX est une forme d’assistance. Cependant, au minimum, les États ont le devoir de ne pas nuire aux efforts des autres pays et à leur capacité de remplir leur responsabilité envers leurs propres populations.
Or, dans le contexte actuel de stocks limités, en s’accaparant une part disproportionnée des doses (5 fois ses besoins dans le cas du Canada), les pays riches nuisent à la capacité d’autres pays de protéger leurs populations (ex. réduction des doses disponibles, prix à la hausse). De plus, on peut postuler qu’en priorisant leurs propres citoyens sans prendre en considération les niveaux de risques des différents sous-groupes, ces pays accentuent davantage les iniquités. En effet, est-il moralement acceptable que certains pays vaccinent leurs jeunes alors que d’autres peinent à vacciner les personnes âgées et les travailleurs de la santé?
La nécessité pour les pays riches d’assister les pays moins nantis n’est pas seulement une question de justice. C’est aussi une question d’intérêt national. Plus le virus continue de circuler dans le monde, plus les risques qu’apparaissent des variants encore plus transmissibles et résistants aux vaccins existants augmentent. Or, une chose que nous a rappelée la pandémie actuelle est que les maladies infectieuses ne reconnaissent pas les frontières, surtout à l’ère de l’économie mondialisée.
Par ailleurs, la reprise et le rétablissement des économies nationales sont tributaires de l’état de l’économie mondiale (ex. stabilité des chaines d’approvisionnement mondiales et des marchés financiers). Or, l’économie mondiale ne pourra se rétablir entièrement que lorsque suffisamment de pays seront sortis de la crise.
Bref, les pays riches ne pourront assurer le bien-être de leurs citoyens à plus long terme sans s’attaquer à la pandémie au niveau mondial.
Notons enfin que, plus cyniquement, les États ont intérêt à assister les pays moins favorisés pour des raisons géopolitiques. En effet, les pays du G7 s’inquiètent du fait que la Chine, la Russie et l’Inde accroissent leur influence politique et renforcent des relations économiques en fournissant des millions de doses à certains pays représentant des intérêts géopolitiques importants.
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