Sur le plan éthique, il est possible de noter que les stratégies préconisées comportent chacune des risques et commandent un arbitrage entre différentes valeurs. Il s’agit, dans cet Éthique hebdo, de mettre en relief les approches de mitigation et de suppression déployées et de dégager les enjeux éthiques qui leurs sont inhérents.
L’approche de suppression, mise en place par la plupart des juridictions, à différents degrés, se traduit par une réduction des chaînes de transmission en maintenant le taux d’infection au plus faible niveau en attente d’un vaccin ou d’un médicament. Elle renvoie à des mesures de distanciation physique pour l’ensemble de la population, entraînant de surcroît l’arrêt d’un grand nombre d’activités économiques et sociales. Pour maintenir le taux de reproduction de base du virus à un niveau en deçà de 1 (Ro < 1), l’approche doit miser sur la combinaison des mesures ciblées d’isolement, la distanciation physique généralisée, la fermeture de lieux de rassemblement et la quarantaine. Son succès s’appréciera par une implantation précoce et étalée sur une longue période.
L’approche de mitigation, telle qu’adoptée par la Suède, focalise sur le ralentissement de la propagation du virus, sans toutefois la freiner totalement, par l’adoption de mesures de distanciation physique, ainsi que par l’isolement des cas positifs confirmés ou suspectés d’être contagieux et de leurs contacts. Cette stratégie mise sur le maintien des activités économiques et sociales pour les individus en santé et sans facteurs de risque, tout en adoptant des mesures de protection parfois coercitives pour les personnes atteintes ou en situation de vulnérabilité. Elle peut aussi s’implanter dans l’idée d’atteindre une forme d’immunité collective naturelle et de prévenir ainsi une seconde vague épidémique trop forte.
En pratique, plusieurs sociétés se situent en quelque part sur un continuum dont les deux pôles sont la suppression et la mitigation.
Ces approches comprennent chacune certains avantages, mais aussi des inconvénients. Elles font ressortir la complexité de la crise sanitaire actuelle et des choix que doivent faire les autorités publiques. Au-delà des limites épistémiques auxquelles sont confrontées ces autorités pour éclairer le processus décisionnel, l’adoption d’une stratégie pour lutter contre la pandémie commande une réflexion éthique, notamment sur la proportionnalité des mesures à prendre au regard des bénéfices raisonnablement attendus.
L’approche de mitigation, bien qu’elle permette d’atténuer le taux de mortalité, risque tout de même d’entrainer une pression sur le système de santé, au-delà de sa capacité (cela dépend des juridictions et des infrastructures mises en place). De plus, un manque de certitude entoure la notion d’immunité collective via la propagation du virus, en ce qui a trait notamment aux possibilités de réinfection, ce qui invite à appliquer le principe de précaution. D’autant plus qu’il est fait mention des risques d’infection que pose ce type de stratégie pour les franges de population en situation de vulnérabilité, alors que l’accent est porté sur le maintien des activités économiques et sociales.
En revanche, miser sur la suppression tant et aussi longtemps qu’un vaccin n’est développé engendre des couts sociaux et économiques importants, lesquels constituent aussi des déterminants de la santé conçue au sens large (impacts négatifs sur la santé mentale, précarité d’emploi, violence conjugale et familiale, etc.). Certains types d’inégalités sociales, comme la fracture numérique, peuvent être exacerbés par la fermeture des établissements scolaires, si des mesures de soutien ne sont instaurées en complément pour contrebalancer ces impacts négatifs.
Cela étant, un déconfinement doit s’opérer dans la prudence et se faire lentement et progressivement afin de ne pas perdre les acquis gagnés par le confinement. Maintenir un taux de contamination à un très faible niveau avant d’assouplir les mesures restrictives acquiert ici une importance particulière. Cette stratégie sera d’autant plus efficace que la période de suppression s’étale sur une longue période. Toutefois, si cela assure la protection des franges de population en situation de vulnérabilité, une suppression trop longue risque d’accentuer d’autres problèmes sociaux qui risquent aussi de leur porter atteinte.
Tel qu’il s’en dégage, les deux approches exposées mettent en lumière une tension entre la protection des populations vulnérables à l’exposition du virus (suppression) et le maintien des activités économiques et sociales (mitigation). Un tour d’horizon des conséquences potentielles des stratégies déployées devrait idéalement être effectué avant d’entreprendre des mesures. Cela pose un défi particulier dans le contexte actuel d’incertitude scientifique sur le virus SRAS-COV-2 où il est difficile d’anticiper les conséquences à long terme de l’approche choisie. Compte tenu des impacts négatifs dégagés jusqu’à présent, la question est de déterminer ce que l’on est prêt à accepter collectivement et d’en fournir une justification en toute transparence.
Les approches doivent être pondérées en fonction de différents facteurs contextuels, les conséquences pouvant varier d’une juridiction à l’autre. La pondération doit aussi s’effectuer au regard des nouvelles connaissances sur le virus, les nouvelles pratiques de santé publique mises en pratique à l’échelle internationale, ainsi que la capacité des systèmes de santé. Des valeurs comme la prudence, l’équité et la transparence peuvent tout de même guider l’action publique dans le contexte d’incertitude actuelle. Les solutions choisies devraient aussi s’inscrire dans une vision globale du processus de gestion de risques, où sont contrebalancés les inconvénients entrainés sur les plans sanitaire, économique ou social.
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