Depuis notre premier Éthique Hebdo sur le coronavirus ou la COVID-19 publié le 6 février 2020, la situation, autant au niveau mondial qu’au Québec, a grandement évolué. En date du 16 mars 2020, le bilan est maintenant de plus de 6000 morts au niveau mondial, la Chine ayant maintenant grandement limité la propagation du virus et l’Italie étant maintenant le pays le plus touché en Europe. Aucun avion provenant de l’Europe ne peut maintenant atterrir sur le sol américain et les entrées au Canada sont maintenant grandement limitées.
Au Québec, les écoles, les cégeps et les universités sont fermés au moins jusqu’au vendredi 27 mars. Plusieurs lieux de rassemblement sont également fermés, dont les bars et les cinémas. Les restaurants peuvent rester ouverts, mais ils doivent limiter leur clientèle à 50% de leur capacité normale. Le Gouvernement du Québec a également demandé à tous les travailleurs qui le peuvent de faire du télétravail. L’objectif de ces mesures est de limiter les interactions sociales et, du même coup, limiter la propagation de la COVID-19.
Les conséquences sociales de la COVID-19 soulèvent plusieurs enjeux éthiques. Plusieurs d’entre eux concernent la justice sociale, dont la responsabilité sociale des entreprises et des gouvernements. Voici une brève exploration de ces enjeux.
La possibilité que la COVID-19 puisse se propager rapidement, et qu’une quarantaine obligatoire à tous soit imposée, a créé, dans certains cas, un mouvement de panique dans les grands magasins d’alimentation. Entre autres, devant la crainte de vivre une pénurie de certains produits si la situation s’aggrave de manière importante, plusieurs citoyens ont voulu faire le plein de certains produits non périssables.
Ainsi, plusieurs consommateurs ont décidé de faire le plein de ces produits, quitte à en priver leurs concitoyens. Parmi ces produits, les aliments en conserve, les pâtes alimentaires, les produits surgelés, le papier hygiénique semblent particulièrement populaires. De tels comportements, même s’ils apparaissent à première vue comme étant une bonne exemplification de la prudence, soulèvent néanmoins quelques enjeux éthiques liés à la justice sociale. La justice sociale est le type de justice qui s’intéresse à l’idéal qui devrait guider les relations sociales, que ce soit les actions individuelles qui ont des effets sur les autres, les lois qui régissent nos interactions les uns avec les autres et avec l’État, ou les institutions sociales qui déterminent la distribution de la richesse et des biens, etc.
Plus spécifiquement, la possibilité que certains citoyens se procurent en grande quantité certains produits, dont le papier hygiénique et les produits antiseptiques, soulève un enjeu lié à la juste allocation des ressources parmi tous les membres de la collectivité. Plusieurs individus vont se procurer ces produits pour eux-mêmes, dans l’objectif de faire des réserves. Ils privent cependant, du moins dans certains cas, leurs concitoyens de pouvoir se procurer ces produits. D’autres individus, peut-être mal intentionnés, vont vouloir se procurer ces produits en espérant une pénurie, dans le but de les revendre à « gros prix », comme c’est le cas de cet homme du Tennessee qui a acheté 17 700 bouteilles de désinfectant pour les mains en espérant les revendre sur Amazon et faire un important profit. Plusieurs ont également fait des réserves de masques de protection respiratoire, privant ainsi les gens qui en ont réellement besoin. Heureusement, au Québec du moins, aucune pénurie de papier hygiénique ne pointe à l’horizon, même si plusieurs magasins peuvent en manquer de manière temporaire. D’autres produits, dont les couches pour enfant, le lait maternisé, les pâtes alimentaires et certains produits en conserve peuvent être difficiles à trouver à certains endroits.
Est-ce juste que certains individus puissent se procurer un nombre important de biens, privant ainsi potentiellement leurs concitoyens de ces biens? En temps normal, les règles du marché, dont la règle du « premier arrivé, premier servi », semblent tout à fait acceptables. Dans le contexte social actuel, est-ce réellement ces règles que nous devrions appliquer? Certains magasins ont déjà commencé à imposer des limites sur le nombre de paquets de papier hygiénique que chaque consommateur peut se procurer, parmi d’autres produits. De telles limites pourraient faire en sorte qu’un plus grand nombre de consommateurs puissent se procurer les produits de base, sans toutefois le garantir.
Au-delà l’imposition de limites sur le nombre de produits que chaque consommateur peut se procurer, l’absence de produits sur les tablettes peut être grandement angoissante pour celles et ceux qui ont réellement besoin de ces produits. Plusieurs individus, dont ceux qui n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour faire des réserves, se procureront seulement ces produits lorsqu’ils en auront réellement besoin. C’est aussi le cas pour les travailleurs qui subissent des pertes de revenu dues à la fermeture de services ou à une période d’isolement obligatoire ou volontaire, par exemple. Cette situation de vulnérabilité financière pourrait fortement limiter leur capacité de se procurer certains biens essentiels.
Il est impossible de nier les effets économiques présents et futurs de la COVID-19, et ceci sur plusieurs plans. Les marchés boursiers sont à la baisse depuis au moins plusieurs jours, ce qui touche tout le monde et pas seulement les grandes fortunes de ce monde. Les REER et les fonds de pension de plusieurs travailleurs pourraient être grandement affectés par un marché boursier baissier. Peut-être de manière plus inquiétante à court terme, plusieurs travailleurs vont voir leur revenu diminuer à la suite des conséquences sociales et économiques de la COVID-19. En effet, plusieurs activités économiques sont suspendues : c’est le cas, entre autres, pour les activités culturelles et les activités sportives. Il s’agit des risques inhérents aux pandémies comme celle que nous vivons actuellement, mais ces risques sont loin d’être distribués de manière équitable parmi tous les membres de la collectivité. Prenons le cas de la suspension des activités sportives professionnelles pour illustrer ce point.
Toutes les ligues professionnelles sportives, du moins en Amérique de Nord, ont suspendu leurs activités. Les joueurs professionnels, dont ceux de la Ligue nationale de hockey (LNH), reçoivent toujours leur salaire, mais cette suspension des activités sportives a des conséquences financières sur les travailleurs employés par les différentes équipes professionnelles : les agents de sécurité, les placiers, les travailleurs des concessions alimentaires, etc. Tous ces individus se retrouvent, du moins temporairement, sans emploi. Pour plusieurs d’entre eux, il s’agit d’un travail à temps partiel qui ne donne pas nécessairement droit à des prestations d’assurance-emploi. Plusieurs organisations sportives ont néanmoins décidé de payer leurs travailleurs ou de compenser pour les pertes de revenu encourues.
D’autres organisations ont plutôt décidé de ne pas payer leurs employés durant cette épreuve difficile, laissant plutôt la communauté ou les joueurs de ces organisations faire preuve de solidarité avec les travailleurs affectés. C’est le cas, par exemple, des Flames de Calgary, alors que les propriétaires de cette équipe sportive sont de riches hommes d’affaires. Ce n’est que devant les réactions négatives du public que cette organisation sportive, comme d’autres, a finalement décidé de compenser les pertes de revenu de leurs employés, que ceux-ci soient éligibles ou non à l’assurance-emploi.
La situation sociale actuelle permet de réfléchir à la responsabilité sociale des entreprises, entre autres en temps de crise. Il est tout à fait raisonnable pour une entreprise de poser les actions qui sont nécessaires à sa profitabilité ou à sa survie économique, mais, dans la situation actuelle, il aurait été espéré que les entreprises les plus prospères fassent preuve d’un plus grand leadership social en acceptant d’emblée de compenser leurs employés, au risque de limiter leur profitabilité. Évidemment, certaines entreprises ne pourront tout simplement pas se permettre de continuer à payer leurs travailleurs dans les situations où leurs activités sont suspendues. Cela pourrait être le cas pour certaines organisations qui œuvrent dans le milieu culturel.
Les gouvernements, autant fédéral que provinciaux, ont également la responsabilité de compenser financièrement les travailleurs affectés par une perte de revenu. De telles compensations peuvent aussi grandement limiter la propagation de la COVID-19 : un travailleur qui sait qu’il sera compensé même s’il n’est pas en mesure de travailler (parce qu’il doit s’occuper de ses enfants pendant que les écoles sont fermées, ou bien parce qu’il fait partie d’une population jugée à risque d’avoir des complications s’il est infecté par le virus) pourrait modifier ses comportements, se plier plus facilement aux consignes des autorités compétentes et, ainsi, participer à cet effort collectif qui consiste à tenter de limiter au maximum la propagation du virus.
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