Collecte et utilisation de nos données personnelles, cyberattaques, fraude électronique, fracture numérique, prolifération des discours haineux : Internet et les technologies numériques suscitent plusieurs craintes. Mais ils sont aussi porteurs d’espoir en matière d’innovation, de développement économique et d’amélioration de la qualité de vie des citoyens. Comment tirer parti des possibilités du numérique tout en protégeant les citoyens?
En réponse à cette question, le gouvernement du Canada a dévoilé la semaine dernière sa Charte du numérique, par l’entremise du ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains.
Issue d’une série de consultations nationales sur le numérique et les données (auxquelles a participé la Commission), cette charte énonce 10 principes qui devront guider l’action du gouvernement du Canada en matière de technologies de l’information, de données massives et d’intelligence artificielle. Elle s’inscrit donc dans une vaste démarche et forme le socle d’un ensemble de lois et de politiques qui seront adoptées.
Présentée sous l’ombrelle de la confiance à bâtir entre les citoyens et le gouvernement, ainsi qu’avec les autres acteurs du monde numérique, la Charte du numérique mobilise plusieurs valeurs, dont plusieurs recoupent celles mises de l’avant par la CEST-Jeunesse 2018, le volet jeunesse de la Commission, dans sa Charte de la citoyenneté à l’ère du numérique*. Elle recoupe aussi, mais dans une moindre mesure, quelques principes figurant dans la Stratégie numérique du Québec, lancée à l’automne 2017, qui s’était aussi inscrite dans une démarche de consultation d’experts et du public. Notons enfin que la Ville de Montréal annonçait le 28 mai dernier qu’elle adhérait au réseau Cities for Digital Rights et qu’elle se doterait elle-aussi d’une Charte des données numériques, notamment pour encadrer ses projets en matière de ville intelligente.
Profitons donc de l’occasion pour revenir sur plusieurs enjeux éthiques liés au numérique.
La préoccupation la plus souvent exprimée dans le débat sur la collecte et l’utilisation des données est la protection de la vie privée des personnes. L’importance qu’on accorde à la vie privée repose généralement sur la volonté de protéger l’autonomie des personnes. Chacun devrait pouvoir déterminer pour lui-même qui a accès à ses renseignements personnels, quand et pour quel usage; ce n’est pas aux autres de choisir à notre place ce qu’on souhaite divulguer sur notre personne, sauf dans certaines circonstances particulières où l’intérêt collectif a préséance. La logique est que la connaissance de nos renseignements personnels confère un pouvoir sur nous aux autres personnes ou aux organisations comme l’État et les entreprises.
Nous avons abordé ces questions à plusieurs reprises, comme dans cet Éthique Hebdo portant sur la vente d’historiques de navigation par les fournisseurs de services Internet.
L’an dernier, nous traitions d’un rapport du Comité fédéral permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, qui recommandait au gouvernement du Canada de prendre des mesures pour assurer un droit à l’oubli aux citoyens. Il sera intéressant de voir si la Chambre des communes donnera suite à ces recommandations sur la base de la nouvelle Charte du numérique.
L’accès aux données est aujourd’hui un facteur important de développement économique. Ainsi, une des raisons principales pour le gouvernement du Canada de se doter d’une politique globale sur le numérique et les données est de créer un environnement économique favorable à l’innovation dans ce secteur. Cela ne peut pas se faire sans donner confiance aux consommateurs et aux investisseurs. Il s’agit donc d’une démarche d’acceptabilité sociale.
Cette acceptabilité sociale repose en grande partie sur une utilisation des données qui ne vise pas un intérêt commercial ou individuel au détriment de l’intérêt collectif, particulièrement lorsqu’il s’agit de renseignements personnels. Dit simplement, la collecte des données générées par les individus ne devrait pas se retourner contre ceux-ci et devraient plutôt servir à améliorer les conditions de vie de tous.
On peut penser évidemment à l’utilisation détournée de données collectées sur Facebook par la firme britannique Cambridge Analytica, pour influencer l’élection présidentielle américaine de 2016. Plus près de nous, la Commission travaille actuellement avec les autorités québécoises pour assurer une utilisation responsable des données collectées par l’État.
Nous rapportions aussi en 2017 une initiative internationale, Big Data for Social Good, où une association de plusieurs centaines d’opérateurs de téléphonie mobile s’engagent à mettre les données qu’ils possèdent à dispositions d’organismes internationaux pour lutter contre des fléaux tels que les crises humanitaires. De telles utilisations relèvent d’une prise en compte du bien commun, et non uniquement des intérêts commerciaux qui dirigent généralement l’action des entreprises dans la gestion de leurs données, qui sont des actifs qu’elles partagent généralement avec beaucoup de réticence.
La sécurité des réseaux informatiques et des bases de données est une condition de base sur laquelle tous s’entendent. En raison de l’importance toujours croissante du numérique dans nos vies, les crimes informatiques et les cyberattaques s’accroissent aussi. Surtout, plus les appareils électroniques se connectent les uns aux autres, plus les conséquences négatives d’une faille dans les réseaux informatiques sont vastes.
Nous avons d’ailleurs traité, en 2017, des questions éthiques entourant les risques de cyberattaques. On peut aussi mettre sous cette rubrique les enjeux liés à la lutte au terrorisme et aux discours haineux, qui sont des enjeux de sécurité nationale et de sécurité des personnes.
Une demande qu’on entend de plus en plus est de rendre le monde numérique plus transparent : que les citoyens puissent savoir et comprendre aisément quand, comment et pourquoi sont collectées leurs données et qu’ils puissent savoir lesquelles de leurs données sont possédées par les différents acteurs, par exemple. La transparence est ici une condition nécessaire pour pouvoir tenir ceux qui font usage de nos données imputables de leurs actions.
Mais la transparence dans le monde du numérique pourrait – et pour plusieurs, devrait – aller plus loin, pour inclure entre autres la transparence des algorithmes. Le traitement de l’information est de plus en plus réalisé par des outils informatiques issus de l’intelligence artificielle, dont le fonctionnement demeure obscur, voire pratiquement impossible à connaître réellement lorsque ces outils « apprennent » par eux-mêmes et « prennent des décisions ». Pensons aux algorithmes de trading automatisé sur les marchés boursiers. Pensons aussi aux plateformes que nous utilisons pour la plupart presque tous les jours et qui jouent un rôle immense dans notre accès à l’information, comme le moteur de recherche Google et le réseau social Facebook.
Enfin, un autre enjeu systématiquement mis de l’avant est celui de la fracture numérique, c’est-à-dire le fossé qui se creuse entre ceux qui ont accès au numérique et qui ont les compétences pour en tirer parti, et ceux qui sont plutôt laissés derrière. L’accessibilité, tant à la technologie qu’aux contenus, et la possibilité de participer à la création et la diffusion de contenus, devrait être démocratisée pour ne pas accentuer les inégalités et l’exclusion sociales. Pensons à la controverse suscitée par le « projet Dragonfly » de Google, qui visait à créer un moteur de recherche à la demande du gouvernement chinois, pour que ce dernier puisse contrôle l’accès à certains contenus sur son territoire.
À cet effet, nous nous demandions récemment si l’accès à Internet n’était pas devenu un droit fondamental dans nos sociétés numériques.
On peut regretter que la Charte canadienne du numérique ne fasse aucune mention des enjeux environnementaux et à l’inscription de l’économie numérique dans une perspective de développement durable. On sait pourtant que l’hébergement et la transmission de données sont très énergivores et sont donc une source importante d’émission de gaz à effet de serre (GES). Nous abordions cette question lors d’une chronique à l’émission de radio Futur simple en janvier dernier (à partir de 14:05) ainsi que dans un Éthique Hebdo portant sur les cryptomonnaies et un autre sur la 5G.
Certains auraient aussi vraisemblablement souhaité voir inscrit dans cette Charte du numérique le principe de neutralité du Net, qui garantit l'égalité de traitement, par les fournisseurs d’accès Internet, de tous les flux de données.
Il faut néanmoins laisser la chance au coureur et voir quelles politiques, inspirées par la Charte canadienne du numérique, seront mises en œuvre.
* Pour en savoir plus sur le projet de Charte de la citoyenneté à l’ère du numérique de la CEST-Jeunesse 2018 et sur ses travaux sur la cybercitoyenneté, consultez notre Éthique Hebdo publié sur ce thème!
Si l’enregistrement des fichiers de témoins est activé sur votre navigateur, la visite de ce site placera un fichier de témoins sur votre ordinateur, ou un fichier de témoins sera lu si vous avez déjà visité ce site auparavant. Notre utilisation des fichiers de témoins vise uniquement à améliorer votre expérience comme utilisatrice ou utilisateur sur le site Web de la Commission.