Commission de l'éthique en science et en technologie

Je n’ai plus de secrets pour ma voiture

18 janvier 2019 Transports et véhicules automatisés, Technologies de l'information et des communications, Technologies de surveillance, Données numériques et massives, Intelligence artificielle

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Le Consumer Electronics Show (CES) est l’endroit par excellence pour s’informer des nouvelles tendances technologiques et avoir un aperçu des technologies qui seront disponibles aux consommateurs dans un avenir rapproché. Cet événement, organisé par la Consumer Technology Association, se tient annuellement à Las Vegas, au Nevada. Cette année, la « voiture intelligente » et ses nouvelles technologies de reconnaissance faciale ont retenu notre attention.

Malgré quelques percées importantes, nous avons pu observer un certain recul par rapport au développement et à la mise en marché de voitures complètement autonomes. Pour ne nommer qu’un exemple, au mois de mars dernier, une piétonne a perdu la vie après avoir été happé par une voiture autonome exploitée par Uber, ce qui a poussé la compagnie à annuler ses tests.

Un tel recul ne veut toutefois pas dire que les voitures qui seront disponibles sur le marché dans les prochains mois ou les prochaines années ne seront pas plus intelligentes, plus connectées et plus autonomes.

Par exemple, le constructeur automobile sud-coréen Kia a développé un système qui permet de lire en temps réel les émotions d’un conducteur en s’appuyant sur certaines données biométriques. En lisant les émotions exprimées par le visage du conducteur, mais aussi en collectant d’autres données dont son rythme cardiaque, le système permet de déterminer son niveau de stress.

C’est dans un contexte comme celui-ci que les développements en reconnaissance faciale, et par le fait même, en intelligence artificielle, peuvent être commercialisés. La reconnaissance faciale utilise des systèmes de neurones artificiels (artificial neural networks) qui sont capables d’identifier un visage grâce à l’établissement de relations et de modèles. Ainsi, un système informatique, par un processus de traitement des données et d’ajustement du réseau de neurones artificiels pendant sa phase d’apprentissage, peut déterminer l’identité d’une personne en évaluant les éléments clés qui font en sorte que son visage est unique.

Ces éléments clés sont déterminés à l’aide d’une « image de référence » – une photo de vous, par exemple – et seront ensuite utilisés pour déterminer l’identité d’une personne. C’est d’ailleurs de cette manière qu’il est maintenant possible de déverrouiller certains modèles de téléphones cellulaires en pointant la caméra de celui-ci vers le visage de son propriétaire.

Grâce à la reconnaissance faciale, une voiture peut donc identifier instantanément qui est assis dans le siège du conducteur. Un tel système permet de faire au moins deux choses. D’abord, il permet d’améliorer l’expérience de conduite en la personnalisant. Par exemple, des listes de lectures musicales basées sur les préférences du conducteur peuvent être proposées.

Ensuite, et c’est ici la grande promesse de l’utilisation de la reconnaissance faciale dans un véhicule automobile, un tel système permet d’améliorer la sécurité routière. En effet, en évaluant de manière constante le visage du conducteur et ses différentes expressions faciales, il est possible pour un tel véhicule intelligent de saisir et cerner l’état psychologique du conducteur et ce, à n’importe quel moment du voyage. Pour ce faire, les avancées en lecture et compréhension des émotions sont primordiales.

Plus précisément, il est possible pour le véhicule de capter certains signes de fatigue de la part du conducteur : peut-être que ce-dernier ferme les yeux de manière plus prolongée qu’un simple clignotement. De plus, il est possible de déterminer si le conducteur est attentif à la route : peut-être que son attention est portée davantage sur ce qui se passe autour de la route, plutôt que sur la route.

En s’appuyant sur ces données, et dépendamment du système dont le véhicule est doté, celui-ci peut émettre des alertes pour assurer l’état de veille et d’attention du conducteur, voire même prendre en charge de manière temporaire la conduite du véhicule. Bref, en assistant le conducteur, de tels systèmes peuvent augmenter significativement la sécurité routière.

À ce stade, il ne s’agit évidemment pas d’un véhicule complètement autonome, mais il peut quand même faire preuve d’une certaine forme d’autonomie en déterminant s’il est préférable qu’il prenne lui-même le contrôle de la conduite de manière temporaire. Nous parlons alors d’une autonomie de niveau 3 sur 5 (5 étant l’autonomie complète). Si de tels systèmes prouvent leur efficacité, il serait alors possible que le véhicule complètement autonome fasse un important retour en force.

Toutefois, autant de tels systèmes intelligents promettent d’améliorer la sécurité routière, autant ils soulèvent certains enjeux éthiques liés à la protection des données personnelles, à la protection de la vie privée et à la possibilité offerte aux individus de se soustraire de l’utilisation de tels systèmes.

D’abord, la manière dont les données collectées par ces systèmes intelligents seront traitées n’est pas clairement énoncée par les fabricants de ces véhicules intelligents. Est-ce que les données liées à la reconnaissance faciale comme telles seront de facto protégées? Si oui, comment le seront-elles? Est-il possible que ces données soient piratées dans le but d’être utilisées, justement, pour déverrouiller certains appareils qui utilisent la reconnaissance faciale? De telles questions soulèvent des enjeux éthiques liés à la protection des données personnelles.

De plus, il n’est pas garanti, du moins pour le moment, que des tiers ne puissent avoir accès à ces données. Par exemple, des compagnies d’assurances pourraient demander d’avoir accès aux données récoltées sur la conduite automobile de leurs clients par ces systèmes intelligents, et ceci dans le but d’ajuster les primes d’assurances. Un tel partage des données, surtout sans le consentement des conducteurs, peut poser une atteinte à la vie privée de ceux-ci. Évidemment, il est possible que les blessures et les morts évitées par l’augmentation de la sécurité routière justifient cette intrusion dans la vie privée des conducteurs.

Finalement, devant l’introduction de ces systèmes « intrusifs », il semble important que les conducteurs puissent avoir la possibilité de se soustraire ou de se désengager de tels systèmes. En d’autres mots, dans le but de préserver la liberté de choix des individus, il semble impératif que ceux-ci puissent avoir la possibilité de cesser d’utiliser, ou tout simplement de décider de ne jamais utiliser ces systèmes intrusifs.

Évidemment, dans la mesure où ces systèmes seront offerts, du moins pour les prochaines années, sur des modèles de voitures luxueuses, il sera toujours possible pour un individu de choisir d’acheter un véhicule qui ne propose pas de tels systèmes intelligents. Néanmoins, advenant la situation où de tels systèmes pourraient devenir la norme (et pas seulement dans les automobiles), il semble important de réfléchir aux modalités pour pouvoir faire le choix de se retirer de l’emprise de ces systèmes, considérant que ceux-ci collectent des données qui peuvent porter atteinte à la vie privée et à l’intimité des individus.

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