Commission de l'éthique en science et en technologie

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Que ce soit pour connaître ses origines ou pour détecter la possibilité de développer une maladie, la popularité des tests de séquençage génétique va toujours croissante. Les tests sont facilement accessibles sur le Web, où, en échange d’une centaine de dollars et d’un échantillon de salive, on procède à une analyse de vos gènes. Au bout du processus, on vous fait parvenir de la documentation sur vos origines ethniques et les migrations auxquelles vos ancêtres auraient participé et encore, sur les variants génétiques dont vous êtes porteurs et qui pourraient révéler un risque pour votre santé ou pour celle de votre descendance.

Ce qui a ici attiré notre attention n’est pas lié aux informations de santé qui sont rendues disponibles par ces populaires tests, mais plutôt des enjeux de confidentialité et de protection de la vie privée soulevés par les recherches génétiques pour établir sa généalogie.

Dans un article de la revue Science paru la semaine dernière et relayé par La Presse, des chercheurs annoncent qu’il sera bientôt possible de retracer 90% des Américains de descendance européenne, via les banques créées pour les recherches généalogiques par l’ADN. En fait, il est déjà possible de retracer 60% des Américains de descendance européenne, qu’ils aient eux-mêmes ou non eu recours aux tests, puisque ces tests, nommés long-range familial search, permettent de repérer des membres de la famille étendue, jusqu’aux cousins de troisième génération. Ainsi, dès lors que 2% de la population recourt aux recherches généalogiques par l’ADN, il est possible de généalogiquement retracer 90% de la population.

La possibilité de remonter la ligne du temps pour connaître ses origines et le chemin suivi par ses ancêtres a toujours soulevé la curiosité, sans compter le plaisir certain de se découvrir des liens parmi ses ancêtres avec une personne célèbre. Cette curiosité des amateurs de généalogie génétique fait qu’ils acceptent, dans une grande majorité, de pousser les recherches plus loin, permettant alors que leur identité génétique devienne accessible et donc ajoutée à des banques de données génétiques ouvertes aux autres personnes qui font, elles aussi, ces tests. Ce faisant, il devient possible de remonter l’histoire, mais également de faire des recoupements et des regroupements entre personnes vivantes, avec lesquelles elles  sont génétiquement liées.

C’est en accédant à ces banques de données génétiques ouvertes que des enquêteurs ont pu résoudre une série de crimes vieux de 40 ans et mettre la main au collet du « Golden State Killer ». Ce dernier n’a pas lui-même fait séquencer son ADN, mais un lointain cousin avait fait faire des recherches pour connaître ses ancêtres, laissant ses identifiants génétiques dans une base de données. Les policiers ont pu recouper les données génétiques déjà existantes dans ces bases de données avec des traces d’ADN tirées des scènes de crimes  pour retracer la famille élargie du tueur. Cette information, combinée aux autres informations détenue sur les criminels, a permis à la police américaine de résoudre plus d’une dizaine de dossiers dans la seule période d’avril à août 2018. Contrairement aux banques de données médicolégales, ces banques de données génétiques tirées des recherches généalogiques  sont très peu règlementées et ouvrent de plus grandes possibilités de recherches. En effet, elles permettent d’utiliser de l’ADN anonyme pour trouver des liens familiaux, de faire des liens entre cousins de 3ième génération (contre ceux de 1ère ou 2ième génération via les banques de données médicolégales), en plus de recenser des gens de la population générale plutôt que criminelle.

Il est possible de s’indigner de ces pratiques au nom de la protection de la vie privée. En effet, des personnes sont retracées alors qu’elles n’ont d’aucune manière donné leur accord pour devenir repérables à l’aide de ces bases de données. Mais considérant qu’il s’agit de criminels et que la résolution de ces dossiers est dans l’intérêt supérieur de la justice et de la sécurité publique, il y a fort à parier que cet argument paraitra un peu léger.

Cependant, les policiers ne sont pas les seuls à avoir accès à ces banques de données et les criminels ne sont pas les seuls à pouvoir être retrouvés contre leur volonté. En effet, le type de recherche généalogique qui devient accessible avec la technologie n’est plus celle liée aux registres civils qui retraçait les filiations avouées et consignées volontairement. Elle permet désormais une recherche fondée sur les variants génétiques et les banques de données qui en sont issues sont rendues accessibles à toute personne qui accepte de partager ses données. Cette accessibilité accrue à la reconnaissance des liens familiaux entraîne (ou entrainera) certainement des conséquences fâcheuses sur des filiations qui auraient dû demeurer secrètes parce que légalement protégées. En effet, comment sera-t-il possible, dans ces conditions, de préserver l’anonymat des donneurs de gamètes et d’embryons? Comment préserver la confidentialité d’un dossier d’adoption dès lors qu’il devient possible de retracer, avec une certitude quasi absolue, les membres de notre famille?

Le don de gamètes et d’embryon repose généralement sur la possibilité, pour le donneur, d’assurer son anonymat si telle est sa volonté. Mais l’accessibilité accrue à ces banques de données et la recherche des liens familiaux pourrait évidemment faire ressortir des liens qui ne devaient pas être connus.

Cet accès facilité permet à des personnes conçues à partir de gamète d’un donneur de repérer des liens avec des cousins biologiques, voire même  de  frères et sœurs biologiques. Ces derniers savent-ils qu’un de leur parent a été donneur? Le fait de l’apprendre pourrait-il avoir des conséquences sur leur propre vie familiale?

Par ailleurs, lorsqu’ils ont eu recours à la procréation assistée ou à l’adoption, certains parents ont préféré garder le secret autour du mode de conception ou de la filiation de l’enfant. Il est donc possible que ce soit par ces tests qu’une personne découvre que ses parents, ou l’un des deux, n’est pas son parent biologique. Apprendre par ces tests qu’ils ont des frères et sœurs jusqu’alors inconnus pourrait être bouleversant et, ici encore, avoir des répercussions sur leur propre vie familiale. Enfin, entrer en contact avec ces frères et sœurs retrouvés pourrait potentiellement mettre à jour l’identité du donneur, entraînant sur la vie de ce dernier un effet domino de révélations avec des conséquences sur les vies de quantité de personnes.

S’opposent alors avec force le droit à l’enfant de connaître sa filiation et d’accéder à son histoire, à celui du parent de conserver son anonymat.

Force est de constater que l’accessibilité à ces données est problématique eu égard aux conséquences possibles que ces découvertes peuvent avoir sur les personnes. Ne serait-il pas alors souhaitable d’envisager un encadrement légal limitant l’accès à ces informations et une forme de cryptage des données?

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