Dans le cadre de la campagne électorale qui a cours actuellement au Québec, les quatre principaux partis semblent s’entendre sur au moins une chose : il faut permettre à chaque Québécois d’accéder à Internet, et ce, avec une connexion à haut débit à prix raisonnable.
Derrière les promesses électorales, il y a cette idée que l’accès à Internet haute vitesse est devenu un incontournable au XXIe siècle. Loin d’être un luxe, il s’agirait d’un bien essentiel dont on ne peut plus accepter de priver les citoyens, consommateurs et entrepreneurs. Explorons cette affirmation du point de vue de l’éthique.
Certains biens sont dits de « première nécessité », c’est-à-dire qu’ils sont nécessaires pour combler les besoins essentiels à une vie normale : nourriture, logement, vêtements, etc. Il serait difficile de faire valoir que l’Internet haute vitesse soit un bien essentiel en ce sens.
Néanmoins, il est vrai qu’en un certain sens, être « branché » est devenu une exigence de la vie normale d’aujourd’hui. De larges portions de nos vies se passent maintenant en ligne, où nous avons accès à des produits et services, dont des services publics, où nous communiquons et socialisons, où nous nous informons et nous mobilisons, etc.
Internet se présente alors comme un bien qui donne accès à une foule d’autres biens ou d’opportunités. Sans accès à Internet, un individu se trouve exclu de connaissances, de relations ou d’opportunités. La part de ces biens dont l’accès est facilité par Internet, ou qui ne sont accessibles qu’en ligne, est croissante. En ce sens, c’est aujourd’hui un véritable désavantage pour un individu par rapport à ses concitoyens que de ne pas être branché, avec une connexion décente.
Dans le cadre de sa 7e édition, la CEST-Jeunesse 2018 s’est intéressée à un argument particulier en faveur d’un accès Internet pour tous. Dans le monde connecté dans lequel nous vivons, ce serait ni plus ni moins un enjeu de citoyenneté à l’ère du numérique. À la base de cet argument se trouve l’idée que le Web peut être considéré comme un espace public : ce concept réfère aux multiples lieux, accessibles à tous, où les humains circulent ou se rassemblent.
En philosophie politique, le concept d’« espace public » réfère plus spécifiquement à un lieu abstrait de délibération et de critique citoyennes, caractérisé par la rencontre des arguments et par la discussion rationnelle sur les enjeux auxquels les citoyennes et citoyens sont confrontés, en commun. C’est un lieu où l’autorité peut être questionnée publiquement, où les citoyennes et citoyens jouissent de la liberté d’expression et où ils sont activement impliqués dans le débat public.
Cet espace public abstrait existe dans et par des lieux concrets qui en sont des manifestations plus ou moins imparfaites. Par exemple, les assemblées citoyennes, les médias d’information et les forums en ligne peuvent être considérés comme des espaces publics.
Si l’on accepte cette idée que le monde numérique est un espace public, ou qu’il renferme plusieurs espaces publics, on comprend pourquoi en être exclu devient problématique. L’exclusion numérique, le fait de ne pas avoir accès aux contenus et aux espaces numériques, devient alors une forme d’exclusion politique. Or, l’exclusion politique est injuste.
L’enjeu de justice sociale le plus souvent cité en ce qui a trait au numérique est d’ailleurs celui de la fracture numérique. Cette dernière peut être définie comme « une inégalité face aux possibilités d’accéder et de contribuer à l’information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les technologies de l’information et de la communication ».
Cette fracture est double. Elle se creuse, d’une part, entre les individus qui ont accès aux technologies et ceux qui n’y ont pas accès. C’est à cette portion de la fracture numérique que s’attaquent des politiques visant à « brancher » l’ensemble du territoire québécois à Internet haute vitesse. Elle renvoie en ce sens à un enjeu de justice spatiale. (À ce sujet, voir plus particulièrement la section 3.4. de notre avis La ville intelligente au service du bien commun.)
Mais l’autre dimension de la fracture numérique est aussi importante. En effet, la fracture marque, d’autre part, un écart entre les individus qui ont les connaissances et les compétences nécessaires pour utiliser les technologies numériques à leur plein potentiel, et ceux qui ne les ont pas.
Notre monde étant de plus en plus connecté, ces inégalités ont des répercussions importantes sur les individus. Si l’Internet est vu comme un espace public, un vecteur citoyen d’informations et un lieu d’exercice de la citoyenneté, alors une personne qui n’a pas accès au réseau ou qui n’a pas les ressources, ou les compétences, pour y évoluer de manière autonome se trouve en quelque sorte dépouillée d’une part de sa citoyenneté et exclue de certains lieux de participation à la vie démocratique. L’inclusion numérique devient un impératif, voire un droit que pourrait garantir l’État.
Pour être effective, l’inclusion numérique doit s’attaquer aux causes des inégalités qui engendrent la fracture numérique et qui nuisent à l’utilisation des technologies numériques de manière autonome. Les inégalités en matière d’accès à Internet ou en matière de compétences pour utiliser le numérique sont influencées par divers facteurs, comme le lieu de résidence, l’âge, le statut socio-économique, le niveau de scolarité et le fait d’être en situation de handicap cognitif (par exemple, pour les personnes présentant une déficience intellectuelle) ou physique (par exemple, pour les personnes présentant une déficience visuelle).
Dans ce contexte, la CEST-Jeunesse 2018 reprend à son compte cette idée, énoncée par la Commission dans son avis de 2017 sur la ville intelligente, comme quoi il n’est pas suffisant d’avoir accès à du matériel informatique pour être considéré comme « branché ». Pour tirer parti du numérique, il importe d’avoir une bonne connaissance des différents usages des technologies, en plus de bien maîtriser certains codes de la culture numérique, de pouvoir discerner en ligne l’information crédible de celle qui ne l’est pas, d’être en mesure de se prémunir contre certaines formes simples d’atteinte à la vie privée, par exemple en sachant ce qu’est un témoin (cookie) ou un cache, etc. Sans exiger que les citoyens soient des spécialistes du numérique, il importe néanmoins que ceux-ci soient le plus possible en mesure de s’orienter dans l’univers numérique et de participer activement et de manière pertinente à la portion de la vie démocratique qui se déroule sur Internet.
C’est dans cette perspective que les douze membres étudiants de la CEST-Jeunesse 2018 ont formulé la deuxième recommandation de leur avis, demandant au gouvernement du Québec non seulement d’assurer l’accès au matériel technologique, mais également de déployer les efforts nécessaires en matière d’éducation pour garantir l’accès pour tous à l’espace public numérique.
Lisez leurs recommandations concernant la citoyenneté à l’ère du numérique dans l’avis Éthique et cybercitoyenneté : un regard posé par des jeunes, maintenant disponible sur notre site Internet
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