Commission de l'éthique en science et en technologie

Les cryptomonnaies et la consommation d’énergie par les technologies de l’information

Dans les six derniers mois, Hydro-Québec aurait reçu plus d’une centaine de demandes d’entreprises de traitement de données liées à la cryptomonnaie, aussi appelées « centres de minage » ou « fermes de cryptomonnaies ».

20 avril 2018 Technologies de l'information et des communications, Finance et marchés, Énergie (sources et infrastructures)

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Dans les six derniers mois, Hydro-Québec aurait reçu plus d’une centaine de demandes d’entreprises de traitement de données liées à la cryptomonnaie, aussi appelées « centres de minage » ou « fermes de cryptomonnaies ». Ces demandes totaliseraient 10 000 mégawatts, soit le quart de ce que la Société d’État est capable de fournir à tout moment. Ce phénomène inquiète Hydro-Québec ainsi que de nombreux observateurs et experts. Il soulève aussi le problème plus général et trop souvent éludé de la consommation d’énergie par les technologies de l’information.

Certaines villes approchées par les centres de minage sont heureuses d’accueillir ces nouveaux investissements et demandent à Hydro-Québec de leur impartir d’avantage d’électricité. D’autres sont préoccupées par leur capacité à fournir suffisamment d’électricité à leurs citoyens et aux industries déjà en place. La MRC de Brome-Missisquoi est allée jusqu’à imposer un moratoire pour tout nouveau projet de centre de cryptomonnaie. De leur côté, le gouvernement provincial et la Société d’État sont en réflexion sur la manière d’encadrer cette industrie. 

Qu’est-ce qu’une cryptomonnaie?

Une cryptomonnaie est une monnaie numérique déployée sur un réseau informatique. Contrairement aux monnaies traditionnelles qui sont garanties par des banques centrales, les cryptomonnaies reposent sur un système décentralisé où toutes les transactions sont répertoriées dans un registre (blockchain) transparent et ouvert. Ces transactions sont ainsi vérifiables par tous les participants. La sécurité et l’authenticité des transactions reposent sur un mécanisme de validation par les participants, le plus courant étant la preuve par le travail. La preuve par le travail est un mécanisme de validation qui exige, afin de réaliser des transactions, de résoudre des équations très compliquées nécessitant une très grande puissance de calcul. Ainsi, les coûts, en termes d’énergie et de traitement de données, pour subvertir le système deviennent si importants qu’ils dépassent les bénéfices, ce qui dissuade les fraudeurs.

Les participants parvenant à valider des blocs de transactions reçoivent une compensation financière. C’est à cette validation que contribuent les centres de minage en réalisant continuellement des millions de calculs à l’aide de milliers d’ordinateurs. Comme toutes les transactions doivent être validées par preuve de travail, le système est extrêmement énergivore. En plus de l’énergie dépensée pour faire fonctionner les ordinateurs, les centres de minage doivent aussi consacrer beaucoup d’énergie au refroidissement des machines.

Prospérité économique de la collectivité

Les centres de minage promettent des investissements locaux et des emplois pour les municipalités qui les accueilleront. Bien qu’ils semblent générer des profits pour les fournisseurs d’électricité, les centres de minage créeraient peu d’emploi et de richesses foncières pour les municipalités. Par exemple, Magog a accueilli deux centres (Bitfarms et BitLinksys) qui ont générés des revenus annuels nets de 750 000 $ pour Hydro-Magog mais ont créé une vingtaine d’emplois seulement. Or, de nombreux autres secteurs industriels apportent beaucoup plus d’emploi et de retombées économiques par unité d’énergie consommée. C’est ce qui fait dire à certains observateurs qu’il s’agit d’une allocation inefficiente des ressources hydro-électriques pour la collectivité. De plus, l’accaparement des ressources énergétiques par ces centres de minage risque de limiter la croissance des industries déjà en place et hypothéquer le développement économique futur des régions.

Bien-être des citoyens

Dans ce dossier, une des valeurs centrales à prioriser est le bien-être des citoyens. Des acteurs des milieux municipaux s’inquiètent de la capacité des villes à fournir suffisamment d’électricité aux citoyens en période de pointe les jours de grand froid. En effet, la consommation annuelle doit être limitée de manière à conserver une marge de manœuvre pour les périodes ou la demande augmente significativement. Par ailleurs, les centres de minage émettent continuellement du bruit et des vibrations qui peuvent être une nuisance pour les citoyens à proximité.

Qualité de l’environnement

Outre la fraicheur du climat et le prix abordable de l’électricité, une des raisons avancées par les entreprises de minage de cryptomonnaies pour s’établir au Québec est que l’hydro électricité est une énergie propre. Les deux principaux pays où s’est développée jusqu’à présent cette industrie sont la Chine et les États-Unis. Or, ces pays produisent l’essentiel de leur électricité à partir de combustibles fossiles comme le charbon et le gaz naturel. Ainsi, à l’heure actuelle, l’industrie globale du minage de cryptomonnaies émettrait autour de 29 000 kilotonnes de carbone par année, soit plus que ce qu’émettent certains pays comme la Croatie, le Kenya, ou le Panama.

Bien que l’hydroélectricité soit plus propre que l’électricité produite à partir de combustibles fossiles, elle n’est pas sans impacts environnementaux. La construction de barrages et de réservoirs détruit des écosystèmes entiers. De plus, on doit souvent inonder des forêts et réduire ainsi significativement la capacité de la terre à capter et à convertir le carbone. Enfin, les forêts inondées relâchent du méthane, un gaz à effet de serre encore plus nuisible que le carbone. Des chercheurs ont estimé que si tout le minage de cryptomonnaies reposait sur l’hydroélectricité, cette industrie émettrait chaque année 9 000 kilotonnes de carbone et 150 kilotonnes de méthane. Le recours à l’hydroélectricité n’est donc pas une panacée pour soutenir une industrie extrêmement énergivore, surtout si pour ce faire la construction d’autres barrages s’avère nécessaire.

Technologies de l’information et énergie

Le cas des centres de minage soulève le problème plus général de la consommation d’énergie par les technologies de l’information et des communications. À l’heure actuelle, 80% de l’électricité utilisée par les centres de stockage de données provient de la combustion fossile. Il est estimé que l’écosystème numérique consommera d’ici 2020 autour de 12 % de l’électricité mondiale et produira 3.5 % des émissions de carbone (plus que l’aviation et le transport maritime). À cela s’ajoutent les problèmes liés à l’utilisation de matériaux toxiques dans la fabrication des appareils et l’accumulation des déchets électroniques post-consommation (e-waste).

Dans un contexte où les sociétés technologiquement avancées s’enthousiasment pour l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, le stockage et le forage de données massives, ainsi que pour l’informatisation de pans entiers de l’activité humaine, il convient de se questionner sur les conséquences de ces technologies sur la consommation d’énergie et sur l’environnement.

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