En mars 2017, les ministres des Finances du Québec et du Canada ont annoncé des investissements dans le secteur de l’intelligence artificielle (IA). Au niveau fédéral, la principale mesure consiste en un financement sur cinq ans de l’Institut canadien de recherches avancées (ICRA), un réseau de recherche axé, notamment, sur l’apprentissage profond (deep learning). Au niveau provincial, Québec met 100 M$ pour la création d’une grappe industrielle en IA. Une grappe industrielle est une « concentration géographique d’entreprises et d’institutions interreliées dans un domaine particulier » (Porter 1998).
Au-delà des fantasmes extravagants issus de la science-fiction, l’IA se concrétise dans nos sociétés sous la forme d’appareils discrets, souvent commercialisés ou implantés sans examen éthique préalable. On peut citer en exemple les voitures robotisées, les ordinateurs médicaux capables d’établir un diagnostic sans la supervision d’un médecin, des robots guerriers (ex. : drones de combat), mais aussi des prothèses intelligentes et des appareils de surveillance. Au moment où vous lisez ces lignes, des robots boursiers effectuent des millions de transactions en une fraction de seconde partout à travers le monde. Tous ces appareils ont peu ou rien en commun avec les robots en folie qu’on voit au cinéma.
On s’attend à ce que les développements de l’IA entrainent des bouleversements importants dans l’économie mondiale.
Les opportunités de l’IA pour la société et l’économie, mais aussi ses risques, sont un thème récurrent des dernières années au Forum économique mondial de Davos. Des experts craignent que le recours croissant aux robots conduise à l’éviction des humains de certaines catégories d’emploi, comme le travail en usine, comme cela s’observe en Chine. D’autres vont jusqu’à affirmer que les nouvelles technologies vont ébranler des pans entiers du marché du travail tel qu’on le connait aujourd’hui, en remplaçant des emplois qui exigent des capacités intellectuelles avancées. Ils prévoient que des machines seront en mesure de posséder beaucoup plus de «connaissances» qu’un être humain, de traiter très efficacement beaucoup d’information et de prendre des décisions complexes.
En effet, vous avez probablement entendu parler du logiciel d’IA qui a réussi à vaincre un des meilleurs joueurs au monde au jeu de go, un jeu de stratégie chinois encore plus complexe que les échecs. Après DeepBlue d’IBM, qui a vaincu le champion Garry Kasparov aux échecs en 1997 et Watson, toujours d’IBM, qui a gagné en 2011 contre l’humain au jeu télévisé américain Jeopardy, c’était le tour d’ AlphaGo de la compagnie DeepMind, de Google, de s’imposer face à l’intelligence humaine. Plus récemment, c’est au poker, un jeu hautement stratégique impliquant même de la tromperie, que l’humain s’est fait surclasser par la machine, plus précisément par un programme du nom de Liberatus créé à la Carnegie Mellon University.
Ces événements nous rappellent tout le chemin franchi en IA et en robotique, ainsi que toutes les possibilités ouvertes devant nous. Évidemment, ces avancées ne se limitent pas aux jeux. Ces derniers sont plutôt des indicateurs de la capacité de la machine à solutionner des problèmes complexes qui sont en ce moment encore l’apanage de l’intelligence humaine.
Ainsi, ces modifications de l’emploi peuvent occasionner plusieurs bouleversements socio-économiques, dont une accentuation des inégalités sociales. On pourrait même être forcés de revoir le fonctionnement économique de plusieurs pays. Ces préoccupations étaient d’ailleurs à l’ordre du jour du Forum économique mondial dès 2015.
Tous ces bouleversements potentiels amènent à se poser plusieurs questions :
Ultimement, la question est de savoir si la technologie qui est développée pourra bénéficier à l’ensemble de la société. Et, si non, que devrait-il être fait pour qu’elle soit bénéfique?
Pour certains, une solution réside dans une autre mesure mentionnée dans budget du Québec et qui est présentement à l’étude : l’adoption d’un revenu minimum garanti (RMG), dans le cadre du troisième plan québécois de lutte à la pauvreté. En effet, un des arguments en faveur du RMG repose sur les avancées technologiques fulgurantes des dernières années. Or, cet argument n’est pas vraiment discuté actuellement dans les cercles politiques au Québec et au Canada. Il commence néanmoins à attirer l’attention dans le domaine de l’éthique et même chez certains «géants» technologiques aux États-Unis.
Le RMG – parfois aussi appelé revenu de citoyenneté ou encore allocation universelle – est un montant d’argent qui est remis sans condition par la société à chaque citoyen majeur, du simple fait qu’il est citoyen de cette société.
Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, M. François Blais, auquel le mandat a été confié d’explorer l’idée d’introduire un RMG au Québec, est d’ailleurs un spécialiste de la question. Il a réalisé plusieurs travaux lorsqu’il était professeur de science politique à l’Université Laval. Fait intéressant, il a réalisé une étude sur le sujet avec son collègue de l’époque, Jean-Yves Duclos, alors professeur en économie et maintenant ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développement social.
Un RMG peut prendre différentes formes, être plus ou moins élevé, dépendamment de l’objectif poursuivi. Généralement, on parle du RMG en lien avec trois grands objectifs :
Ces objectifs mettent en jeu différentes valeurs, comme l’égalité, la dignité humaine, la solidarité ainsi que l’efficacité et l’efficience de l’action gouvernementale, la rigueur financière, etc.
Selon certains, le RMG est aussi une politique sociale accompagnant le développement technologique, pour garantir un filet social dans les périodes d’insécurité en matière d’emploi. Il vise à faciliter la transition vers une économie où le plein emploi est impossible ainsi qu’à favoriser l’innovation. En effet, selon les défenseurs de cet argument, garantir un revenu minimum encourage l’entreprenariat en soutenant pendant les débuts difficiles du démarrage d’une entreprise les gens qui, sinon, n’auraient pas les moyens de se lancer en affaires. Il permet aussi de libérer du temps « rémunéré » pour acquérir une nouvelle formation ou pour se perfectionner. Il permettrait enfin d’atténuer les inégalités économiques dues aux changements majeurs du marché de l’emploi et des sources de revenu. Pour remplir ces promesses, le RMG devrait néanmoins être établi au-delà d’un simple revenu de subsistance.
L’argument est loin d’aller de soi. D’une part, le RMG n’est pas le seul moyen d’arriver à ces fins : un filet social robuste par le biais d’autres programmes peut aussi faire l’affaire. Les défenseurs du RMG répondront cependant qu’il est plus simple et moins coûteux. Dans un contexte extrême de pénurie d’emplois, il serait quand même très coûteux. D’autre part, la question de son financement doit être posée sérieusement. Suffit-il de taxer fortement ceux qui participent à la production économique pour redistribuer ses fruits à l’ensemble de la société? L’État doit-il acquérir des parts importantes des entreprises, de manière à financer ses programmes au moyen des profits obtenus? Dans tous les cas, les mesures impliqueraient de grands changements dans nos structures sociales et économiques.
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