Entre 2017 et 2018, de nombreux aéroports canadiens s'équiperont de bornes de reconnaissance faciale. Ces bornes visent à raccourcir l’attente lors de l’entrée ou du retour au pays des voyageurs, ainsi qu’à améliorer la sécurité des frontières. Les personnes qui le souhaitent pourront en effet éviter de passer par la guérite d’un garde-frontière, la machine faisant, à la place de ce dernier, le travail de corrélation entre la photo au passeport et le visage du voyageur.
Peu d’information est donnée quant à la manière dont ces bornes vont effectivement fonctionner et dont les renseignements recueillis seront utilisés. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) s’est limitée à dire que seules les images ne correspondant pas parfaitement seraient conservées par la machine.
Ce silence de la part de l’ASFC ouvre la porte à des rumeurs d’ingérence de la part du gouvernement américain. C’est que les appareils de reconnaissance faciale qui seront déployés au Canada sont similaires aux bornes implantées l’an dernier dans plusieurs aéroports américains et qu’elles arrivent à un moment où les États-Unis renforcent la vigilance à leurs frontières. Certains y voient non pas une volonté canadienne, mais une demande faite par le gouvernement américain. Bien qu’il soit légitime que deux pays limitrophes arriment au mieux leurs systèmes de sécurité, l’idée d’une forme d’ingérence des Américains dans les décisions canadiennes est problématique puisqu’elle remet en question l’autonomie du pays quant à ses choix et à sa liberté d’action.
En dehors des enjeux de relations internationales, l’implantation de ces bornes de reconnaissance faciale soulève en elle-même plusieurs questions.
Premièrement, l’utilisation d’une telle machine peut instiller un faux sentiment de sécurité. Pour plusieurs, une technologie à la fine pointe sera nécessairement plus efficace qu’un humain. Or, il n’est pas clairement établi qu’un appareil de reconnaissance faciale soit effectivement plus efficace, d’autant plus que le garde-frontière est non seulement formé pour reconnaitre les traits de la personne en face, mais également pour décoder le non verbal des gens. Ainsi, le faux sentiment de sécurité peut amener des personnes à mettre de côté leur droit à la vie privée en croyant qu’ils agissent pour un bien collectif plus grand, mais sans que les bénéfices attendus ne se réalisent.
Deuxièmement, la collecte de ce type d’information peut (trop) facilement permettre la création d’une banque de données personnelles. L’utilisation subséquente de ces données, si elle n’est pas rigoureusement encadrée, peut être source de dérives qui en inquiètent plus d’un. L’ASFC assure qu’elle ne conservera que les données liées à des résultats non concordants entre la photo de passeport et le visage de la personne qui se présente à la borne. Plusieurs experts soulignent néanmoins que la simple possibilité de conserver l’information, même si cela ne fait pas actuellement partie des plans de l’ASCF, exige d’envisager les utilisations possibles et leurs conséquences éthiques.
Déjà, en décembre 2016, le Commissaire à la protection de la vie privée mettait en garde contre le profilage à l’aéroport, à l’annonce d’un système analysant des « scénarios ». Ce système utiliserait les données disponibles sur les voyageurs pour établir un profil en fonction de scénarios jugés dangereux. Par exemple, une personne d’un pays déjà « ciblé » qui aurait voyagé dans un pays musulman entre certaines dates, pourrait présenter un profil suspect et se voir systématiquement interceptée à la frontière. Si ce type de système était couplé à la reconnaissance faciale, il y aurait là un véritable danger d’ouverture à divers types de profilage, soit-il racial et ethnique ou carrément politique. Les données biométriques ne peuvent pas être considérées comme des données personnelles « ordinaires ». Elles sont ce qui fait la particularité d’une personne et elles ne peuvent être modifiées. Elles concernent son origine, la couleur de sa peau, ses empreintes digitales, ses caractéristiques faciales, etc.
En ayant accès à ces données et en les recoupant avec d’autres données personnelles, il pourrait être possible d’identifier une personne dans la foule pour ensuite constituer un profil élaborée de cette personne contenant de l’information biographique variée et suivre ses déplacements via des caméras de surveillance, tout ça à son insu. La constitution de banques de données personnelles par des organismes gouvernementaux suscite presque toujours l’inquiétude du public, qui craint de s’engager ainsi sur une pente glissante menant à la perte de libertés.
La question était aussi ressortie récemment alors qu’on rapportait l’intention de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) d’implanter un système national de reconnaissance faciale pour lutter contre la fraude. D’où l’importance de réfléchir dès maintenant aux conséquences de tels gestes et, au besoin, d’ajuster en conséquence nos lois et politiques visant à la protection de la vie privée.
La Commission publiait déjà en 2005, un document de réflexion portant sur l’utilisation des données biométriques à des fins de sécurité. Celui-ci peut être téléchargé ici.
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