Ajit Pai est reconnu pour son hostilité envers la neutralité du net, un principe devant garantir l'égalité de traitement, par les fournisseurs d’accès Internet, de tous les flux de données. Selon ce principe, un fournisseur d’accès ne peut gérer le trafic sur Internet de manière discriminatoire. Il ne peut contrôler l’accès, moduler la vitesse, ou tarifer l’utilisation en fonction de la source, du destinataire ou du contenu. La nomination d’Ajit Pai laisse présager une remise en question de la position de la FCC en faveur de la neutralité du net.
Vendredi le 2 février 2017, une première décision du FCC allait dans ce sens. L’agence a mis fin à une enquête sur une pratique controversée employée par de gros acteurs qui sont à la fois fournisseurs d’accès Internet et producteurs de contenus (ex. AT&T et Verizon). Celle-ci consiste à offrir un accès illimité (zero-rating) à leurs propres contenus alors que les autres contenus sont soumis à des seuils maximaux de données téléchargées. Cette pratique sera vraisemblablement tolérée par la FCC d’Ajit Pai.
Sans encadrement par la FCC, les fournisseurs d’accès pourraient aussi faire payer de gros producteurs de contenu comme Netflix pour des flux à haut débit. Dans ce système à plusieurs vitesses, les plus petits joueurs n’ayant pas les moyens de payer des frais élevés risqueraient d’être ralentis, voire bloqués par les fournisseurs d’accès.
Internet est devenu un outil fondamental de dissémination et de consommation d’information dans nos sociétés contemporaines. La manière dont ce réseau est organisé peut avoir des effets sociaux, économiques et culturels importants. Comme mode d’organisation d’Internet, la gestion du trafic soulève des questions éthiques fondamentales.
Selon les défenseurs de la gestion du trafic sur Internet, la neutralité du net contrevient à la liberté économique des fournisseurs d’accès Internet. Ils avancent que la capacité de choisir et d’entreprendre des actions économiques et de rechercher la profitabilité doit être protégée contre le paternalisme des régulateurs.
De plus, ils affirment que le libre marché est plus à même de bénéficier aux consommateurs comme en témoigne, selon eux, le zero-rating qui consiste à exempter certains contenus des limites de données et de la tarification.
Les défenseurs de la neutralité du net apportent d’autres arguments. D’abord, sur le plan de l’éthique des affaires, l’avantage donné à certains producteurs de contenus par rapport à d’autres irait à l’encontre du principe d’égalité des chances. Un environnement concurrentiel équitable est un environnement où tous les concurrents sont traités de la même façon. Or, le zero-rating pratiqué par les fournisseurs d'accès Internet se fait au détriment des plus petits producteurs de contenu.
Ensuite, sur le plan du droit des citoyens, la gestion du trafic sur Internet irait à l’encontre du droit à l’autodétermination. En effet, le principe d’autonomie est au fondement de la philosophie à l’origine d’Internet. Il renvoie à la capacité à exprimer et à recevoir librement une diversité d’idées et d’informations. Tout contrôle ou gestion des flux de données par les fournisseurs d’accès menacerait ce principe.
Enfin, des observateurs craignent qu’un contrôle du flux de données puisse conduire à la manipulation de l’information, voire à de la censure qui peut nuire à la diversité des voix et à la délibération démocratique. Si la liberté d’expression peut avoir des limites, c’est à une autorité légitime de trancher, pas à une entreprise privée qui fournit un accès Internet. Un débat semblable se fait au sujet des intérêts économiques derrière les moteurs recherche.
Très tôt dans son histoire, Internet a été associé à un idéal d’ouverture et de liberté. Aujourd’hui, le débat entre la gestion du trafic des données et la neutralité du net amène à réévaluer cet idéal : est-il préférable de le laisser tomber ou doit-on plutôt le défendre?