Commission de l'éthique en science et en technologie

L’appui gouvernemental pour la captation du carbone permet-il une lutte efficace contre les changements climatiques ?

13 octobre 2022 Environnement, Énergie (sources et infrastructures)

Partager cette page

Les investissements mondiaux dans les technologies capables de retirer du carbone de l’atmosphère à des fins d’atténuation des changements climatiques sont présentement en rapide expansion. En 2021, ils atteignaient 1,44 milliard de dollars américains, soit trois fois plus que l’année précédente. Les compagnies pétrolières sont des récipiendaires de choix pour ces sommes, car la simple production de carburant (avant même de le brûler) émet beaucoup de CO2 qui peut être capté directement à la sortie des cheminées de leurs installations, un procédé nommé « captation en postcombustion ». Dans ce texte, l’utilisation du terme général « captation du carbone » référera à ce type de technologie en particulier. Une fois capté, le CO2 doit être ensuite entreposé, par exemple en le compressant, puis en l’injectant dans des aquifères salins très profonds, ou encore utilisé dans des procédés industriels.

Au Canada, le budget annuel du gouvernement Trudeau proposait cette année des crédits d’impôt pour les entreprises équivalents à 50% de leurs investissements dans les technologies de captation du carbone. Selon leur présente mouture, ces mesures coûteraient 2,6 milliards de dollars canadiens par année durant cinq ans, avant de diminuer à 1,5 milliard par année jusqu’en 2030. Or, ces crédits d’impôt posent d’importants enjeux liés à l’efficacité des politiques publiques en matière de lutte contre les changements climatiques.

L’efficacité des politiques publiques

L’efficacité des politiques publiques, laquelle désigne l’atteinte des résultats escomptés par ces politiques, est une valeur d’une grande importance dans la lutte contre les changements climatiques. La gravité de la situation et la courte fenêtre temporelle pour y réagir nous enjoignent à concentrer notre financement dans les techniques qui offrent, toutes choses étant égales par ailleurs, le plus haut potentiel de réduction des gaz à effet de serre (GES). Or, bien qu’il assure la nécessité éventuelle de la captation de carbone dans l’air ou en postcombustion, le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) établit que ces techniques sont présentement parmi les plus coûteuses et les moins efficaces pour réduire les émissions nettes de CO2. Qui plus est, lorsque tout le cycle de vie (construction et opération) de la production d’énergie au moyen des carburants fossiles assortis de captation du carbone est pris en compte, on réalise que les investissements dans l’énergie solaire et l’énergie éolienne sont beaucoup plus efficaces pour réduire les émissions de CO2. Effectivement, la captation de carbone exige beaucoup d’énergie pour fonctionner, en plus de nécessiter tout un réseau de conduites pour acheminer le carbone capté.

Le budget fédéral avance que la captation est très importante pour les secteurs dont les émissions sont difficiles à éviter, comme l’acier et le béton. Il s’agit d’un argument fréquemment véhiculé dans la communauté scientifique. Ottawa l’utilise toutefois de manière différente, en l’appliquant à l’industrie pétrolière. Pourtant, une quantité importante des émissions de GES issues des énergies fossiles pourrait être évitée en les laissant dans le sol et en assurant une transition vers les énergies solaire, éolienne, géothermique et hydroélectrique. Une lettre ouverte cosignée par plus de 400 scientifiques et adressée à la ministre des Finances Chrystia Freeland plus tôt cette année soulevait que le gouvernement ignorait l’historique problématique et les coûts faramineux des technologies de captation en défaveur des solutions éprouvées que sont les énergies renouvelables. Le document ne recommandait rien de moins que l’abandon complet de ces subventions.

Plusieurs activistes et scientifiques évoquent aussi le risque d’un effet rebond des crédits d’impôt, soit qu’ils augmentent paradoxalement les émissions de GES. L’exemple de l’usine d’hydrogène Quest, opérée par Shell en Alberta, semble leur donner raison. Après avoir reçu une subvention fédérale de 834 millions $ pour son système de captation en postcombustion, cette dernière a échoué à atteindre ses cibles de captation chaque année, et une étude indépendante a démontré que bien qu’elle ait capté près de 5 mégatonnes de CO2 durant ses 5 premières années, ses activités en avaient produit environ 12,5. La différence, 7,5 mégatonnes de CO2, représente l’équivalent de 1,2 million de voitures de plus sur les routes chaque année durant cette période. À l’échelle du pays, un rapport d’Environmental Defence a montré que malgré des subventions à la hauteur de 5,8 milliards $ depuis l’an 2000, les projets de captation du carbone sur notre territoire ne retirent que 0,05% de nos émissions annuelles. De telles données sont préoccupantes, car elles soulèvent l’hypothèse que la captation du carbone n’est pas, à l’heure actuelle, un outil efficace pour la lutte contre les changements climatiques. En suivant cette hypothèse, les investissements dans ces technologies ne représenteraient pas une utilisation responsable des fonds publics.  

Un encadrement nécessaire

Mettre tous ses espoirs dans la captation du carbone est un pari risqué : nous ne pouvons avoir la certitude que les technologies en question deviendront réellement efficaces, et ce, dans un court délai. Il demeure important de réguler et d’encadrer son usage pour qu’il concorde avec la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques.

Avant tout, le CO2 provenant de la captation mécanique ne devrait pas pouvoir servir à forer davantage de pétrole dans le sol. C’est en effet à cette fin que les techniques de captation du carbone ont d’abord été développées, et c’est ce à quoi 80% du carbone capté présentement est voué. De plus, comme nos capacités de captation sont très limitées, il serait aussi important de déterminer quelles émissions devraient être éliminées et quelles autres devraient être compensées par des crédits carbone.

Enfin, une avenue prometteuse afin de s’assurer que la captation de carbone ne se fasse pas au détriment de la transition écologique serait de séparer les cibles de réduction et de captation. Avec le développement récent de marchés du carbone, les deux cibles sont confondues, créant un cercle vicieux dans lequel les premières sont repoussées au fur et à mesure que les secondes enflent. Autrement dit, séparer les cibles permet d’éviter les effets rebond en ne confondant pas la réduction des émissions à la source avec la réduction des émissions par le recours à la captation de carbone, deux avenues dont l'efficacité est loin d'être identique. Ce genre d’approche a d’ailleurs déjà été endossé par la Suède et l’Union européenne. Dans le premier cas, la cible est une réduction des émissions de 85% par rapport au niveau de 1990 d’ici 2045, en utilisant la captation là où aucune autre option viable n’est disponible, comme pour une grande partie des émissions de l’industrie du béton. Dans le second, la Loi européenne sur le climat limite le rôle de la captation à deux pourcents de son but total de réduire de 55% les émissions d’ici 2030. Ces deux plans mettent de l’avant une vision de la captation du carbone qui est cohérente avec son niveau de développement et qui ne l’utilise pas pour se dédouaner des changements importants à notre organisation sociale qui devront être faits pour éviter des niveaux de réchauffement climatique catastrophiques.

Si l’enregistrement des fichiers de témoins est activé sur votre navigateur, la visite de ce site placera un fichier de témoins sur votre ordinateur, ou un fichier de témoins sera lu si vous avez déjà visité ce site auparavant. Notre utilisation des fichiers de témoins vise uniquement à améliorer votre expérience comme utilisatrice ou utilisateur sur le site Web de la Commission.