Commission de l'éthique en science et en technologie

Pesticides: entre crise environnementale et enjeux de santé

7 octobre 2022 Agriculture et alimentation, Environnement, Santé

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Les pesticides sont des substances ou des mélanges de substances, naturels ou chimiques, utilisés dans le but d’empêcher le ravage des cultures ou des terrains par un organisme biologique ou une « peste » particulière. Le classement des pesticides se fait généralement selon leur mode d’entrée, l’organisme qu’ils ciblent ou leur composition chimique. Malgré les bénéfices qu’ils apportent, les pesticides sont critiqués depuis déjà plus de 60 ans. L’œuvre la plus marquante de Rachel Carson, Silent Spring, révélait en 1962 la toxicité du dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) sur l’environnement. Depuis, de nombreuses controverses et nouvelles études ont démontré à la fois la dangerosité des pesticides et l’ingérence des compagnies de pesticides dans la recherche.

Ce bulletin Éthique Hebdo se penchera sur différentes conséquences de l’emploi des pesticides et sur quelques enjeux éthiques qu’il soulève. Un prochain Éthique Hebdo se penchera plus amplement sur la présence des pesticides au cœur de procès juridiques.

Impacts environnementaux

Les pesticides causent un stress sur leur environnement en modifiant la composition biologique des organismes ou les chaines alimentaires des écosystèmes. Certains pesticides – et c’était d’ailleurs l’une des objections les plus virulentes qu’avait Carson à l’égard du DDT – ont un effet sur tous les organismes qu’ils touchent, et non seulement sur les pestes qu’ils ciblent. Par exemple, les pesticides utilisés en bordure des rizières ont un impact sur leur écosystème, car ils perturbent les cyanobactéries naturelles qui s’y trouvent et entrainent la mort de microorganismes. Dans la plupart des cas, les pesticides, même les plus ciblés, se retrouvent inévitablement dans l’air, sur les personnes qui les utilisent, sur la faune et la flore, dans les sols et dans les cours d’eau.

L’emploi de pesticides en agriculture a été lié à une perte importante de biodiversité, et jusqu’à 70% du déclin des insectes dans certaines régions du monde[1]. De la même manière, les néonicotinoïdes sont en grande partie responsables du déclin des populations d’abeilles. En 2020, une étude prouvant que le traitement des semences enrobées de néonicotinoïdes sur les terres agricoles québécoises était utile dans moins de 5% des cas a refroidi les ardeurs quant à l’emploi de ces pesticides. Depuis, l’application des néonicotinoïdes a été réduite à moins de 0,2% pour les cultures de maïs et 0,1% pour les cultures de soya (contre respectivement 100% et 50% des cultures en 2015). Cependant, l’utilisation de néonicotinoïdes n’est pas la cause unique de la disparition des abeilles. Bien que leur impact sur ces insectes soit plus direct et plus étudié, l’ensemble des techniques d’agriculture intensive, qui comprend entre autres l’utilisation d’intrants, la monoculture et la déforestation, est en cause dans le déclin des abeilles et d’autres insectes, plantes, bactéries et animaux. Les abeilles continueront alors de disparaître et de s’affaiblir tant que sera pratiquée l’agriculture intensive.

L’agriculture dite intensive, dont la pratique inclut l’utilisation de pesticides, est principalement exercée afin d’augmenter et d’assurer le rendement agricole, dans le but de nourrir la population terrestre grandissante. Il existe donc une tension entre le besoin alimentaire des êtres humains et la protection de la biodiversité. Or, la production agricole dépend à 75% des pollinisateurs, dont les plus importants sont les abeilles. Leur disparition entraîne de ce fait des conséquences négatives critiques sur l’environnement ainsi que sur la production agricole mondiale. L’utilisation de techniques d’agriculture intensive, notamment l’application de pesticides sur les récoltes, est donc tout compte fait contre-productive à l‘objectif visé par une telle pratique. L’emploi de pesticides soulève ainsi non seulement des enjeux quant à la mainmise humaine sur l’environnement et la nature, mais également quant à la survie des êtres humains et à l’exploitation de nos ressources agricoles. Comme cette exploitation menace les terres et les récoltes, ainsi que la survie des espèces, l’utilisation de pesticides devient en somme un enjeu de bien commun.

Le manque de recherche et la durée que nécessite l’exposition aux pesticides pour entraîner des conséquences négatives ont eu une incidence sur la découverte de la toxicité des pesticides. Par ailleurs, le principe de précaution, qui dicte que l’absence de connaissance scientifique ne devrait pas servir de raison pour ne pas mettre en place des mesures de réduction des risques, n’a pas été observé dans le cas des pesticides. Le risque des pesticides sur l’environnement n’a pas été monitoré, ni évalué, avant que des conséquences graves soient observées.

Impacts sur la santé humaine

 Outre leurs impacts sur l’environnement, certains pesticides sont également dangereux pour la santé humaine. Des milliers de personnes aux États-Unis poursuivent Monsanto, filière de Bayer, après avoir développé un lymphome non-hodgkinien dont l’utilisation du Roundup, produit phare de Monsanto, aurait été une cause principale. C’est la classification du glyphosate comme « probablement cancérogène », par le Centre international de Recherche sur le Cancer en 2015, qui a provoqué les premières poursuites contre Monsanto. Lors de l’arrêt Johnson c. Monsanto, il a été prouvé que la filière de Bayer avait caché des informations selon lesquelles le Roundup pouvait causer le cancer, et avait engagé des scientifiques pour signer des fausses recherches, ou des recherches écrites en partie par des employés de la compagnie. Ces études, commanditées ou écrites par Monsanto, semblaient indépendantes; Santé Canada les avait même consultées avant de prendre la décision d’homologuer à nouveau le glyphosate, en 2017. Le manque de recherche concernant la toxicité des pesticides résulte donc en partie de la malfaisance des compagnies qui vendent des produits contenant des pesticides.

En 2021, la maladie de Parkinson a été reconnue par le gouvernement québécois comme étant une maladie professionnelle dans le cadre du projet de loi 59. L’exposition de 10 ans et plus à des pesticides comme l’atrazine ou le glyphosate a prouvé participer au développement du Parkinson. De la même façon, l’exposition aux pesticides, et plus particulièrement aux organophosphorés et aux organochlorés, augmenterait les risques de développer certaines formes de démences, dont la maladie d’Alzheimer[2]. D’autres études ont démontré les effets néfastes des pesticides sur la fonction thyroïdienne[3], ou encore sur la possibilité de développer un trouble du déficit de l’attention et certaines formes de leucémie chez les enfants dont la mère était exposée aux pesticides durant la grossesse. De plus, l’homologation du chlorpyrifos a été révoquée seulement en 2021 au Canada, à la suite de plusieurs contestations contre son utilisation, qui causerait des dommages neurologiques chez les enfants. Malgré ces informations, l’agence règlementaire de la lutte antiparasitaire (ARLA) avait proposé d’augmenter les résidus de glyphosate sur les légumineuses l’été dernier et avait fait l’objet de vives critiques citoyennes et professionnelles. Il a ensuite été découvert que la demande de consultation publique avait été faite par Bayer. D’une façon similaire, Syngenta, géant des pesticides, et Agriculture Canada avaient demandé de permettre plus de pesticides sur les bleuets et les framboises. L’identité des demandeurs avait été originellement cachée par Santé Canada. Ces décisions soulèvent des enjeux de transparence, ce qui mine la confiance citoyenne envers le gouvernement et ses organismes, en plus de remettre en question la prévalence, chez les décideurs,  du bien commun sur les intérêts privés des particuliers.  La saga Louis Robert pouvait également conduire à questionner cette priorité, l’agronome ayant été renvoyé pour avoir dénoncer l’ingérence du privé dans la recherche québécoise sur les pesticides. Or, les citoyens, et plus particulièrement les agriculteurs, devraient pouvoir donner leur consentement éclairé quant aux produits qu’ils utilisent eux-mêmes, ce qui nécessite à la fois que toutes les informations sur les pesticides soient mises en circulation et que les risques soient étudiés rigoureusement et ce, malgré l’impact économique que certaines découvertes pourraient avoir sur les entreprises privées.

 

[1] Brühl CA, Zaller JG. Biodiversity Decline as a Consequence of an Inappropriate Environmental Risk Assessment of Pesticides. Front. Environ. Sci. 2019;7(177). doi: 10.3389/fenvs.2019.00177

[2] Hayden KM, Norton MC, Darcey D, Østbye T, Zandi PP, et al.  Occupational exposure to pesticides

increases the risk of incident AD. AANeurology. 2010;74(19): 1524–1530. doi: 10.1212/WNL.0b013e3181dd4423

[3] Sirivarasai J, Chanprasertyothin S, Kongtip P, Woskie S. Genetic Polymorphisms of Pesticide-Metabolizing

Enzymes and Transporters in Agricultural Workers and Thyroid Hormone Levels. Risk Manag Healthc Policy. 2021; 14: 3435–3451. doi: 10.2147/RMHP.S314510

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