Un nouvel implant cérébral développé par Neuralink
L’implant cérébral Telepathy, conçu par l’entreprise Neuralink, permet à des personnes paralysées de retrouver un certain degré d’autonomie en contrôlant différentes machines par la pensée. Une puce électronique munie d’électrodes est placée dans une partie du cerveau qui contrôle la motricité. Cette puce analyse l'activité électrique du cerveau et transmet ces données à un ordinateur qui « décode » l'activité cérébrale du patient, en apprenant à associer certains signaux électriques produits par les neurones à un objectif consciemment visé par ce dernier (comme lorsqu’il pense à bouger le curseur d’une souris vers le haut de l’écran). Le système informatique est capable de reconnaître un schéma d'activité électro-cérébrale récurrent lorsque l'hôte de l'implant cérébral imagine une tâche, ce qui lui permet ensuite d'exécuter des commandes mentalement.
Il existe certes déjà d’autres technologies permettant à des personnes à motricité réduite de communiquer ou de se mouvoir (pensons au dispositif utilisé par Stephen Hawkins). Toutefois, la possibilité de contrôler des machines par la pensée représente une avancé thérapeutique extraordinaire, fortement souhaitée par les personnes concernées. Néanmoins, Neuralink a suscité de vives critiques. D’une part, Elon Musk, PDG de l’entreprise, ne se gêne pas pour clamer que le but ultime de Neuralink n’est pas uniquement thérapeutique, il vise d’abord à augmenter les capacités humaines. Musk souhaite rendre possible que les humains fusionnent symbiotiquement avec l’intelligence artificielle (IA) de sorte à ne pas devenir obsolètes dans une ère dominée par des machines super intelligentes. On peut dès lors redouter le potentiel inéquitable de la commercialisation des implants cérébraux, laquelle risque de ne profiter qu’aux plus fortunés si elle est entièrement laissée au jeu du libre-marché et d’exacerber les inégalités découlant de la fracture numérique. On a aussi reproché à la compagnie son manque de transparence dans la communication des protocoles et résultats expérimentaux, de même que certains abus lors d’expériences réalisées sur des animaux effectuées sous les pressions du PDG pour obtenir des résultats hâtivement (situation qui semble s’être améliorée).
Les interfaces cerveau-machine : quelques enjeux éthiques
Neuralink est cependant loin d’être la seule compagnie œuvrant dans le domaine et Arbaugh n’est pas le premier humain à recevoir un implant cérébral permettant de contrôler une machine par la pensée, une percée réalisée il y a plus de 15 ans. De plus, les interfaces neuronales directes n’incluent pas uniquement des technologies permettant de « lire » les pensées pour contrôler des machines. Elles incluent également tout un répertoire de technologies permettant d’ « écrire » directement dans le système nerveux en y envoyant des signaux électriques (en anglais, on distingue les fonctions write-in et read-out des interfaces neuronales directes). Ces interfaces cerveau-machine permettent de redonner la vue ou l’ouïe (pensons aux implants cochléaires), de détecter et d’arrêter les crises d’épilepsie et les tremblements liés à la maladie de Parkinson et même d’effectuer une régulation émotionnelle et comportementale par voie de stimulation cérébrale profonde (SCP) (usages qui, pour la plupart, en sont au stade expérimental, à la différence des implants cochléaires, en circulation depuis longtemps).
Même si les équipes de chercheurs et les compagnies développant différentes interfaces neuronales directes ne sont pas toutes, à l’instar de Neuralink, menées par un leadership éthiquement questionnable, les avancées en neuroscience dont elles sont porteuses soulèvent des questionnements éthiques vertigineux. En plus des risques d’exacerbation des inégalités liés à l’usage d’implants cérébraux à des fins d’amélioration, la possibilité de décoder les impulsions électriques cérébrales a repoussé les frontières de la protection de la vie privée et des renseignement personnels, si bien que l’on parle maintenant de la protection de la vie privée mentale tout en se questionnant sur la commercialisation éventuelle des données cérébrales.
De plus, les bouleversements de l’expérience subjective vécue par les personnes dotées d’implants cérébraux sont tels que certaines personnes font l’expérience d’une forme d’aliénation profonde, troublante et remettant en question leur identité personnelle, lorsqu’elles ressentent que des mouvements ou des émotions émanent d’un dispositif implanté chirurgicalement dans leur cerveau plutôt que de leur « moi » authentique. Même lorsque des personnes vivent en réelle symbiose avec leur implant cérébral, elles ne sont pas à l’abri des risques liés à l’identité personnelle. Par exemple, un patient d’une étude sur les impacts psychologiques de la SCP a vécu une crise existentielle lorsqu’on a dû lui enlever un prototype implanté dans son cerveau qui lui permettait de détecter l’arrivée de crises d’épilepsie, car la compagnie ayant développé ce dispositif avait fait faillite.
Vers de nouvelles normes internationales?
C’est pour pallier de tels risques que plusieurs spécialistes en neuroéthique sont d’avis qu’il faut créer de nouveaux droits humains, à savoir :
- un droit à la vie privée mentale protégeant contre l’intrusion mentale d’un tiers et contre la collecte non-autorisée de données mentales;
- un droit à la continuité psychologique protégeant contre des altérations par un tiers de l’activité cérébrale qui résulteraient chez la personne les subissant en une transformation radicale de la personnalité remettant en question sa capacité à faire l’expérience d’elle-même en tant qu’entité qui perdure à travers le temps;
- un droit à l’intégrité mentale protégeant contre les formes d’interférences externes empêchant une personne de contrôler le fil de ses propres pensées;
- un droit à la liberté cognitive protégeant la capacité des personnes à prendre des décisions éclairées relatives à l’usage des neurotechnologies (que ce soit pour des fins de thérapie ou d’amélioration).
Donnant suite à ces préoccupations, l’UNESCO mène d’ailleurs actuellement des consultations en vue de rédiger des recommandations sur l’éthique des neurotechnologies qui devraient se traduire en un nouvel instrument normatif international et l’OCDE vient de publier une boîte à outils visant à promouvoir l’innovation responsable en neurotechnologies.
Un consensus semble se dégager quant à la nécessité de balises éthiques pour encadrer les avancées des neurotechnologies, notamment en ce qui concerne les interfaces cerveau-machine. Toutefois, certains doutent que ces balises devraient prendre la forme de neurodroits conçus comme de nouveaux droits humains. Ils soutiennent que ces neurodroits sont redondants et que pour protéger les personnes, il suffit de reconceptualiser des droits déjà reconnus (comme le droit à la vie privée et le droit à la liberté de pensée).
En réponse, ceux et celles qui font la promotion du développement de nouveaux neurodroits soulignent, par exemple, que le droit à la liberté de pensée ne permettrait pas d’offrir une protection adéquate et équivalente à ce qui serait offert aux individus par un droit à l’intégrité mentale et un droit à la liberté cognitive. Alors que la liberté de pensée est normalement conçue en termes de liberté d’expression, les interfaces neuronales directes donnent un accès inédit aux états mentaux, ce qui rend nécessaire une protection plus directe de nos états mentaux. D’autre part, la liberté de pensée serait aussi traditionnellement conçue comme un droit négatif se réalisant dans un interdit de la censure, alors qu’un droit à la liberté cognitive aurait une dimension positive visant à permettre à toutes les personnes qui le souhaitent de bénéficier des avancées en neurotechnologies (en plus d’avoir une dimension négative : l’interdiction d’usages coercitifs des neurotechnologies, laquelle diffère aussi de la dimension négative du droit à la liberté de pensée).